Les pertes affichées par les grands groupes français atteignent des milliards d’euros, l’unité de compte qui désormais prévaut en tous domaines en ces temps de gigantisme. Cela va-t-il si mal après quelques semaines d’une forte baisse de l’activité économique suivies d’une reprise durablement poussive ? Le tissu économique serait-il à ce point fragile ? C’est une hypothèse à sérieusement envisager.
Toutefois, un vieux truc du métier consiste à charger la barque quand l’occasion s’en présente, pour ne pas avoir à y revenir. En l’occurrence en faisant porter un chapeau trop large à la pandémie et au confinement. Il y aurait donc à boire et à manger dans cette affaire.
La chute durable du prix du pétrole, la rentabilité évanouie du gaz de schiste ou la reconversion forcée de l’industrie automobile ne sont pas totalement étrangères aux dépréciations d’actifs et aux provisions dont les écritures ont été passées. D’autres secteurs ont certes été incontestablement durement touchés par le confinement forcé : le transport aérien et ferroviaire ainsi que la grande distribution et le tourisme. Il n’a donc pas que des effets d’opportunité.
Tous ces secteurs ont cependant en commun de faire face à une douloureuse reconversion, et les plus grandes entreprises entraînent dans leur sillage la masse de leurs sous-traitants. « Quand les parents boivent (la tasse), les enfants trinquent » avertissait la sécurité routière ! C’est toute une conception de l’activité industrielle dont il faut payer le prix, les chaînes de production internationales ne sont pas seules touchées.
Le manque de fonds propres et l’insuffisance de la trésorerie, ces amortisseurs de toujours, sont également en cause, le poids des frais financiers continuant à s’exercer quand le chiffre d’affaires chute. Le modèle économique est atteint, et ce n’est pas propre à la France. L’industrie automobile allemande était en crise avant que la pandémie n’apparaisse et privilégier les exportations en négligeant le marché intérieur revient à mettre tous ses œufs dans le même panier.
Noircir le tableau a toutefois l’avantage de justifier des plans de licenciements et des restructurations, une occasion à ne pas manquer afin de poursuivre et d’intensifier les réformes du droit du travail. Mais c’est jouer avec le feu. Comment renforcer la consommation – ce moteur de la croissance d’autant plus indispensable que l’investissement privé n’est pas d’actualité et que celui d’origine publique a des limites – si l’on accroit la précarité ? Déjà qu’un nouveau concept est apparu, celui de la « sur-épargne » que l’on déplore…
Il pend aussi au bout du nez la menace, « hautement probable » selon le Conseil scientifique, d’une deuxième vague de la pandémie à l’automne. L’arbitrage en faveur de la reprise du travail a participé d’un relâchement des mesures de précaution, produisant déjà un effet rebond.
En raison des incertitudes, les investisseurs ne portent plus les banques dans leur cœur et leur valorisation boursière connait en conséquence une chute impressionnante dans toute l’Europe. L’arrêt de la distribution des dividendes, selon les instructions de la BCE qui veille au grain, n’y est prosaïquement pas pour rien, car il est souligné que leur matelas de fonds propres est plus épais que jamais ! La clairvoyance n’a jamais été leur fort, mais le sens aigu de leur intérêt ne se dément jamais.