Vous n’allez pas le croire, le Bundestag a donné son feu vert à la poursuite de la participation de la Bundesbank aux programmes de la BCE ! Les juges de la Cour constitutionnelle avaient donné trois mois à celle-ci pour justifier la « proportionnalité » de son principal programme d’achats obligataires, il n’a fallu que deux mois pour les amener à résipiscence.
Hier, le coup était imparable, aujourd’hui il a été paré. L’indépendance de la magistrature n’a pas résisté à la raison d’État. Il était hors de question d’entraver une politique de la banque centrale destinée à rendre la dette publique supportable, au risque sinon de précipiter une nouvelle crise risquant cette fois-ci d’être fatale à l’euro.
Est-ce à dire que l’indépendance de la BCE a été préservée ? Ce serait plutôt le contraire qui vient d’intervenir. Dans sa nouvelle mission, la BCE est au service des États, seules les apparences peuvent être préservées. Ce monde est atteint d’un dédoublement de la personnalité, affirmant ceci et faisant cela.
Une véritable tromperie est intervenue. La BCE rappelle en toutes occasions qu’elle agit dans le cadre de son mandat de veille de la stabilité des prix, mais elle est engagée dans le financement de la dette publique pour appeler les choses par leur nom. Elle a désormais toute latitude pour continuer en prolongeant le calendrier initial de ses programmes d’achats obligataires. Présentés comme exceptionnels et temporaires, ceux-ci se sont pérennisés, induisant une sourde monétisation de la dette. Seule une reprise de l’économie qui fait l’objet de spéculations hasardeuses pourrait l’inciter à revenir en arrière. Mais même là la décrue de la taille de son bilan serait lente, car il faudrait sinon trouver des acheteurs pour les titres qu’elle présenterait sur le marché. Avec le risque d’une élévation des taux précipitant une nouvelle crise de la dette européenne en atteignant la solvabilité des États les plus fragiles.
Remettre en cause le statut quasi perpétuel de la dette publique que la BCE a instauré n’est pas particulièrement dans les vues des autorités, car il permet de prétendre qu’il va falloir la rembourser et serrer la vis budgétaire alors que ce ne serait pas nécessaire. En tout état de cause, cela ne réglera pas la question de l’endettement des entreprises, qui implique un financement public, soit en créant des structures de défaisance dont les pertes reviendront ultérieurement aux États, soit en les subventionnant ou en les recapitalisant sans attendre. Le mur du chômage a pris le pas sur celui de la dette et la consommation doit être protégée pour qu’une relance ne reposant pas sur celle des plus aisés devienne effective. En la circonstance, le capitalisme ne fait pas preuve d’empathie mais d’intérêt, la croissance telle qu’elle est stimulée est une des composantes de sa fuite en avant.
Le plan de relance européen représente un autre gros morceau et fait l’objet d’intenses tractations. Le clan des « frugaux » spécule sur une reprise de l’économie plus forte que prévue et joue la montre en attendant qu’elle se concrétise, car cela permettrait de justifier sa rétention financière. Cet obstacle là aussi va devoir être franchi, mais que restera-t-il des propositions initiales de la Commission à l’arrivée, quelles compensations sous forme de rabais seront-elles accordées ? Le verre sera plus à moitié vide qu’à moitié plein, on peut le présager sans craindre de trop s’avancer.