À défaut de débloquer la situation inextricable créée par les juges de Karlsruhe, Angela Merkel s’est soudainement déclarée prête à vouloir « faire davantage en matière de politique économique, afin de faire progresser l’intégration [de la zone euro] » et « agir en responsabilité et de manière intelligente pour que l’euro puisse subsister ». « Nous allons à coup sûr nous pencher sur cette question en lien avec ce qu’on appelle le Fonds de relance », a-t-elle conclu, sans dévoiler ses batteries.
Le cadre d’un compromis est tracé et son contenu reste à négocier, avec toutes les inconnues que cela comporte sur le montant de ce fonds, ses conditions d’attribution et les garanties qui seront apportées aux emprunts de la Commission. Dans l’attente de la proposition de cette dernière le 27 mai prochain, le Parlement européen l’a mis en garde contre toutes les coupes dans les fonds structurels ou consacrés à la lutte contre le réchauffement climatique. Les députés européens proposent un fonds de 2.000 milliards d’euros financé par l’émission par la Commission d’obligations à longue maturité et, afin de repousser les limites encadrant son endettement, ils préconisent une augmentation de ses ressources propres par le biais de nouvelles taxations. Il y a du grain à moudre et des ailes à froisser !
Les mauvais esprits, qui ne manquent pas, remarqueront qu’il s’agit une fois de plus de s’endetter, même si l’échéance des remboursements est la plus éloignée possible. Et que faire « rouler » la dette à moindre frais dépendra du maintien pendant une longue période de taux obligataires très bas, faute de quoi les rendez-vous risquent d’être douloureux. Ce qui suppose pour s’en assurer que la BCE continue ses achats de titres en ignorant l’arrêt de Karlsruhe qui demande qu’ils soient circonscrits dans le temps…
Outre Atlantique, la Fed n’est pas assujettie à une telle contrainte, même si Jerome Powell, son président, a averti que, dans leur principe, ses achats ne sont pas éternels. Il est venu à l’appui des membres démocrates du Congrès qui réclament l’adoption d’un nouveau plan de 3.000 milliards de dollars alors que Donald Trump tergiverse. En attendant, la Fed fait feu de tout bois et soutien les uns après les autres les différents compartiments du système financier. Elle a commencé à acheter des Exchange traded-funds (ETF), soulageant les méga-fonds d’investissement, et se prépare à en faire autant des Collateralized loan obligations (CLO) qui résultent de la titrisation des prêts antérieurs, et non plus uniquement des nouveaux, afin d’en faire autant pour les banques d’investissement.
Ce dernier marché mérite que l’on s’y attarde, que ce soit aux États-Unis ou en Europe. La titrisation de mauvaise mémoire a été relancée en assurant qu’elle serait désormais sage et que toutes les précautions avaient été prises pour que ne se réédite pas l’épisode de 2008. Pourtant, celles-ci semblent insuffisantes si l’on en croit l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) qui s’en inquiète. Sans entrer dans le détail de la structure complexe de CLO, il ressort que les garde-fous mis en place sous la forme de « coussins » destinés à abonder les pertes sont dépassés par les évènements, c’est à dire par les taux de défaut enregistrés sur les prêts d’origine une fois titrisés. Il se pourrait par ailleurs que deux gestionnaires d’actifs des deux côtés de l’Atlantique jouent le rôle de canaris dans les mines de charbon en venant de liquider leurs lignes de crédit participant au montage financier des CLO, à la manière de BNP-Paribas qui avait suspendu en 2007 deux de ses fonds de Credit default obligations (CDO), le petit frère des CLO.
Ce qui permet de se poser une question sur la manière dont les banques françaises se délestent de leurs investissements d’un montant de 24 milliards d’euros sur le marché sinistré des prêts aux extracteurs américains de gaz de schiste, qu’ils croyaient être une excellente affaire. Ne les titriseraient-ils pas, évacuant ainsi leurs pertes au détriment des acheteurs de leurs CLO, alimentant les tensions qui sont enregistrées sur ce marché ? Aux États-Unis, la Fed va encaisser au moins une partie des pertes, mais en Europe qui va jouer ce rôle sans l’avoir choisi ?
Plus les financiers enfouissent leurs miasmes, plus la surprise sera grande, c’est la loi du genre car le système porte en lui une opacité congénitale. Pour le dire autrement, « le presbytère n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat »…
Votre texte en entier vaut par lui-même.
Mais je retiens spécialement : « pour que l’euro puisse subsister » exprimé par une responsable. On sent qu’elle ( M.e Merkel) ne tient pas pour improbable cette catastrophe, puisqu’elle l’évoque sans détour.
Peut-être n’en pense-t-elle pas un mot? Une position maximaliste en vue de futures négociations, avec Karlsruhe à la clé?