Ils n’iront pas loin avec l’ouverture auprès du MES d’une ligne de crédit de 240 milliards d’euros, dans laquelle les pays de la zone euro pourront tirer dans la limite de 2% de leur PIB. L’Eurogroupe d’hier vendredi n’a fait que formaliser une décision déjà prise, sans rien y rajouter. Si ses membres ont comme vraisemblable échangé des propos plus ou moins amènes après la sommation de la Cour de Karlsruhe à la BCE, rien n’en a pour l’instant filtré.
Le gouvernement italien est instamment prié d’utiliser cette facilité dont les conditions d’accès sont « standardisées » (les mêmes pour tous) et leur utilisation n’est pas assortie de mesures de « surveillance », a insisté Mario Centeno, le président portugais de l’Eurogroupe. Tandis que le gouvernement français, voulant faire savoir qu’il se bat, sans grand succès, fait circuler un document réitérant sa proposition de création d’un fonds de relance de l’Union européenne. Il serait financé par des émissions obligataires de la Commission et doté annuellement de 150 à 300 milliards d’euros de 2021 à 2023. Ce fonds serait distinct du budget pluriannuel de la Commission dont une nouvelle proposition de sa part est attendue vers le 18 mai. Pour faire passer la pilule, il est suggéré par le gouvernement français que les affectations des fonds par les pays bénéficiaires seraient par contre strictement encadrées.
Les discussions en cours se tendent alors qu’il se confirme une différenciation économique croissante au sein de la zone euro, ainsi qu’une distorsion du marché unique – un comble – causée par les différences de niveaux d’aides publiques accordées par les gouvernements nationaux aux entreprises. Bénéficiant d’une plus grande flexibilité temporaire de la Commission en matière de règles de la concurrence, la répartition des aides pays par pays le confirme sans ambages. Sur un montant total de 1.900 milliards d’euro d’aides distribuées, selon le pointage de la Commission, l’Allemagne arrive en tête avec 52% des aides autorisées, puis la France avec 17% et l’Italie avec 16%.
Cette distorsion a conduit Christine Lagarde à mettre en garde contre les risques de « divergences » entre pays et à faire valoir que « chaque pays doit répondre autant que nécessaire » aux besoins de financement supplémentaires que requière la situation. Selon elle, ils pourraient dépasser 10% du PIB de la zone euro, soit environ 1.200 milliards d’euros. La réponse budgétaire commune, a-t-elle insisté, doit être « rapide, de taille et symétrique ».
Christine Lagarde s’est par ailleurs gardée de croiser le fer avec les juges de Karlsruhe, terrain sur laquelle elle était attendue et où ni Angela Merkel ni Emmanuel Macron ne se sont exprimés publiquement. Elle s’est comme prévu drapée dans l’indépendance de la BCE, à la suite du communiqué de la Cour de justice européenne (ECJ) qui a réaffirmé sans surprise ses prérogatives sur les tribunaux nationaux : « des divergences entre les juridictions des États membres (…) seraient susceptibles de compromettre l’unité de l’ordre juridique de l’Union et de porter atteinte à la sécurité juridique », ajoutant « tout comme d’autres autorités des États membres, les juridictions nationales sont obligées de garantir le plein effet du droit de l’Union ».
La présidente de la BCE s’est déclarée « pas découragée » par l’arrêt de la Cour allemande, laissant par cette formule transparaitre qu’il y a de quoi. Pour toute réponse, elle a fait valoir que la BCE, doit à l’instar des autres banques centrales « aller au-delà des outils normaux et utiliser des mesures exceptionnelles (…) pour éviter un resserrement [des coûts de financement] et assurer la transmission de notre politique monétaire à travers la zone euro ». Par ce dernier argument, elle tente de retomber sur ses pieds et de rester dans le cadre de sa mission statutaire, ce qui est précisément mis en cause.
Fragilisée, la zone euro repose désormais sur deux fictions. Celle de la reprise ultérieure de ses règles budgétaires, qui n’ont été officiellement que « suspendues » mais qui sont dans la pratique désormais inapplicables, et celle de la mission unique de stabilisation des prix de sa banque centrale qu’elle a outrepassée sans le dire. Combien de temps vont-elles pouvoir être tenues ?
La marche de l’histoire est comme chacun sait irrésistible, même si l’on ignore le chemin qu’elle va emprunter. Cela explique sans doute, car il faut avancer, qu’une équipe de la BCE étudie actuellement – selon une fuite que l’on peut qualifier d’opportune – l’achat d’obligations dites « à haut rendement » (High yield) des entreprises afin de faciliter leur financement. De tels titres sont déjà admis en garanties des prêts qu’elle octroie aux banques, mais un pas supplémentaire serait ainsi franchi. Classés dans la catégorie « spéculatives », leur acquisition viendrait accroitre les risques pris par la BCE qui persévérerait dans l’inconduite…