Qui doit avoir le dernier mot d’eux ou de la Cour Européenne de Justice ? Les juges de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe pensent que ce sont eux et viennent de le faire savoir. C’est une nouveauté qui crée un dangereux précédent en Europe, si les juridictions nationales de différents pays décidaient de suivre leur exemple. En Hongrie ou Pologne par exemple. À leur initiative, le démantèlement de l’Europe acquière une nouvelle dimension.
Les juges n’ont pas été jusqu’à déclarer que les mesures de la BCE étaient illégales, mais ils ont donné à celle-ci trois mois pour leur prouver le contraire. Et ils ont affirmé leur doctrine sous la forme d’une nouvelle interprétation des traités européens : une fois affirmé le principe de « proportionnalité » au terme duquel la banque centrale ne pouvait exercer son pouvoir qu’à condition de rester dans le cadre de sa mission de stabilité des prix, les juges ont considéré dans leur arrêt que celle-ci devait être subordonnée à ses effets sur la politique économique et budgétaire. On ne s’interroge pas sur laquelle…
Tracer la frontière entre les politiques monétaires et économiques est incertain, et la BCE ne se prive pas d’en profiter, justifiant toujours ses programmes en référence à la faiblesse de l’inflation. Mais que les juges de Karlsruhe s’arrogent le droit de la dessiner afin de décider ce qui est légal de ce qui ne l’est pas, c’est une autre histoire ! Voilà un deuxième dangereux précédent.
La politique de la BCE était jusqu’à maintenant décidée dans des cénacles où la politique n’avait officiellement pas droit de cité et de regard. Même si l’on savait que son indépendance proclamée était une fiction destinée à empêcher tout contrôle démocratique de ses activités. Lui substituer un tribunal, même constitutionnel, ne représente en aucune manière un progrès en matière de transparence.
Les dirigeants européens vont avoir trois mois pour limiter la portée de la décision de la Cour de Karlsruhe et tenter de retomber sur leurs pieds, toujours à la recherche d’un compromis introuvable. Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, a déclaré qu’il soutiendra les efforts de la BCE pour expliquer « la proportionnalité de son programme », mais il y mettra à coup sûr des conditions. Le « Kriegspiel » va reprendre de plus bel, les juges étant entrés dans la partie.
On voit encore le poids écrasant d’un certain pays sur tous les autres d’une certaine « union ». Certes il n’y a pas de progrès sur la transparence mais c’est peut-être une crise (au sens ancien) salutaire à venir : comme avec les effets révélateurs d’un virus sur nos sociétés, le moment de reprendre les choses en main ? En finir avec des fictions commodes justifiant l’ordolibéralisme imposé ? Avec des dominations non-dites mais inacceptables ?
Quelques questions :
La constitution française dispose que les traités internationaux où elle est partie ont la précédence sur la loi française, à charge de transposer ces traités en droit français.
L’Allemagne ne suit pas ce même cheminement?
Si oui, comment avons nous pu accepter une telle extraordinaire dérogation? Personne n’a vu la contradiction avec l’idée d’une « union sans cesse plus étroite », chère au traité de Rome?
Le gestion du pognon par une banque centrale n’a jamais été exactement démocratique. Beaucoup trop dangereux de laisser le peuple s’y intéresser…
L’intervention de la cour constitutionnelle allemande ne serait-elle pas une forme de démocratie, très indirecte naturellement ? Même si cette décision est plutôt défavorable à l’Europe comptée sans l’Allemagne ?
Non, l’Allemagne a dans sa constitution (la loi fondamentale) une conception étendue de la souveraineté. Ce n’était pas le cas des Britanniques, pour qui le droit européen prévalait sur le droit national !