À nouveau, la proposition d’une distribution gratuite d’argent par les banques centrales à tous les particuliers ressurgit, plus connue sous le surnom de l’« helicopter money ». Conduisant l’agence Bloomberg à constater placidement que « la liste des évènements inédits s’allonge ». Pour le moins !
Le système serait-il à ce point grippé qu’après avoir abandonné la rémunération de l’argent en sacrifiant aux taux obligataires négatifs, cette distribution d’argent vienne sur la table en désespoir de cause ? Le capitalisme en sort à nouveau ébranlé sur ses bases.
Il est revenu au géant de la gestion d’actifs BlackRock le soin de se lancer, fort de sa connaissance des marchés. Après avoir choisi comme date de son intervention la veille d’un G7, dont il a déjà été annoncé qu’il ne publierait pas de communiqué final en reconnaissant par avance qu’aucun accord n’est envisageable entre ses participants, même en alignant de vagues généralités sans effet. Mais BlackRock a fait coup double en intervenant indirectement dans les débats qui vont se dérouler à Jackson Hole, lors du rituel symposium annuel des banques centrales. Il faut dire que son thème, « les défis de la politique monétaire », s’y prête bien.
Soucieux de convaincre, les dirigeants de BlackRock ont confié à trois anciens banquiers centraux qu’ils ont récupérés et mis sous leur aile le soin de parrainer cette proposition franchement iconoclaste. Stanley Fischer qui vient de la Fed, Philipp Hildebrand de la Banque nationale suisse et Jean Boivin de la Banque du Canada sont là pour assurer la crédibilité de cette distribution de liquidités d’un genre nouveau qui ignorerait les banques jusque-là bien servies.
Dans la perspective d’une prochaine crise économique, à laquelle il faut donc se préparer, ces Trois Grâces membres du club restreint des banquiers centraux prétendent au réalisme. Ils prennent acte de l’incapacité des gouvernements européens à actionner le levier budgétaire pour relancer l’économie, et constatent que les banques centrales n’ont pas reconstitué leurs capacités d’intervention.
Ne se contentant pas de définir un nouveau cadre conceptuel, ils ne voient aucun obstacle légal à son acceptation. Ni aux États-Unis ou au Japon, ni même en Europe, où l’interdiction qui pèse sur la BCE ne concerne que le financement des États, pas des entreprises et des particuliers. Face au danger de réveiller une inflation incontrôlable, ils proposent de limiter la distribution d’argent, revendiquant par contre la relève maitrisée des anticipations d’inflation.
S’ils flirtent avec les préceptes de la Théorie Monétaire Moderne, nos banquiers centraux défroqués se défendent de les partager, considérant que celle-ci minimise l’impact sur l’inflation de la monétisation des déficits qu’elle défend. Et BlackRock qualifie de « facilité fiscale d’urgence permanente », une réserve dans laquelle il serait puisé lorsque l’inflation ne parvient pas à son taux d’objectif.
Quoi qu’il en soit, leur intervention montre à quels expédients sont réduits ceux qui cherchent à stabiliser un système sans en avoir les moyens, impliquant des transgressions hier impensables qui rendent indécise la frontière entre action budgétaire et monétaire. Les iconoclastes se comptaient sur les doigts d’une main il y a dix ans, l’un des acteurs financier majeurs se range désormais à leurs côtés.
Décidément, avec l’adoption par les grandes entreprises américaines d’une responsabilité sociale élargie cela craque du côté de la théorie, et il va bien falloir passer un jour ou l’autre aux travaux pratiques si l’on veut sauver le capitalisme. Mais les uns et les autres en sont-ils vraiment capables, rivés à leurs croyances, à leurs comportements et à leurs intérêts à court terme ?