L’issue « constitutionnelle » dont se réclamait l’armée depuis la crise ouverte par la candidature avortée d’Abdelaziz Bouteflika a encore perdu du peu de sa substance avec la fin du mandat de 90 jours de la présidence intérimaire. Depuis le 9 juillet, Abdelkader Bensalah est néanmoins resté en fonction en dépit du vide constitutionnel sur lequel il repose, comme si de rien n’était, montrant que cette voie n’est qu’un habillage.
La porte que des élections présidentielles remportées par un candidat préempté représentait pour l’armée est restée fermée. Celle-ci n’a pas de plan B et en est réduite à compter sur un essoufflement du hirak (le mouvement, en arabe) qui n’en donne pas signe, à jouer sur sa division en utilisant la carte Berbère, et à donner des gages en embastillant et traduisant devant une justice suspecte à juste titre d’allégeance, les membres corrompus du clan Bouteflika. Le tout agrémenté de l’arrestation de meneurs aux fins d’intimidation.
Cela n’a pas produit les effets escomptés, ces palliatifs ne parvenant pas à masquer l’incapacité dans laquelle se trouve l’armée de rétablir le bon fonctionnement d’un système au sein duquel elle exerce son pouvoir depuis l’indépendance, et qui est arrivé à son terme. Elle s’est depuis toujours dissimulée derrière les apparences d’un pouvoir civil, tirant les ficelles sans avoir à rendre de comptes et en toute impunité. Une situation de rêve dont on comprend qu’elle n’entend pas l’abandonner.
D’où la grande difficulté rencontrée par un mouvement qui réclame l’effacement d’un système dont l’armée est la colonne vertébrale tout en attendant implicitement un compromis avec elle, ne voulant pas l’affronter ayant le sentiment de ne pas en avoir les moyens.
Faute d’en trouver le chemin, que reste-t-il d’autre comme issue à l’armée que la voie qu’une répression frontale ? Ses dirigeants ont jusqu’à maintenant montré qu’ils ne l’envisageaient pas et au contraire cherchaient à ne pas y être acculés. Non seulement en raison des répercussions internationales auxquelles ils devraient faire face, mais parce que l’armée se mettrait au service d’une dictature, un rôle auquel elle n’est pas préparée et qui n’irait pas de soi en son sein. Le risque de se voir attribué sa part de responsabilité dans les 200.000 morts de la guerre civile sanglante des années 90 qui hante les anciennes générations est déjà un fardeau suffisamment lourd à porter.
L’armée a toujours veillé au respect d’une règle du jeu : les dissensions et luttes de clans en son sein devaient y garder des proportions maîtrisées et aboutir à un consensus de façade. Il en a toujours été ainsi des luttes d’influence pour le partage de la rente, cette condition du maintien au pouvoir du système à l’avantage de tous. Mais avec les arrestations du général Mohamed Lamine Mediène, dit Toufik, le patron tout-puissant de la Direction du Renseignement et de la Sécurité (DRS) pendant 25 ans, et du général Athmane Tartag qui lui a succédé en 2015, le corps militaire ne respecte plus ses propres règles de conduite.
L’omniprésence de son chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, qui apparait désormais comme le vrai détenteur du pouvoir, symbolise cette nouvelle situation où l’armée est amenée à l’exercer sur un mode qui ne lui convient pas, faute de pouvoir passer le bâton témoin à un homme d’allégeance. Mais comment sortir de ce provisoire ? Cette impasse n’est pas nouvelle, elle avait déjà été rencontrée en décidant d’investir Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat présidentiel qu’il était incapable d’exercer. L’armée s’y trouve toujours coincée.