Les dirigeants européens vont-ils être à la hauteur de l’enjeu représenté par la nomination aux « top jobs », comme on les appelle à Bruxelles ? Le Conseil européen est notamment en charge des successions aux présidences de la Commission et de la BCE, mais peut-on n’y voir, pour comprendre la bataille à leur sujet qui a commencé, que l’expression d’un simple jeu d’influence destiné à avoir demain l’oreille des vainqueurs ?
Le véritable enjeu est de faire barrage à des candidatures destinées à verrouiller l’emprise des autorités allemandes sur la politique européenne et le maintien de leur stratégie ordo-libérale. Celles-ci, bien que ne pouvant pas se prévaloir d’un succès exemplaire, entendent la poursuivre strictement. En face, il est de plus en plus recherché des assouplissements, à défaut de réclamer un inaccessible abandon. Chacun à leur manière, les Français, les Espagnols, les Italiens et les Portugais n’ont pas d’autre objectif en tête, mais ils n’ont pour l’instant obtenu que la constitution d’un pôle plus royaliste que le roi qualifié de « Nouvelle Ligue Hanséatique » et emmené par les Pays-Bas.
Le départ d’Angela Merkel et la fin de la Grande coalition marquent la fin d’une période où la suprématie allemande était incontestée. La bataille pour les nominations s’inscrit dans la mise en cause de la politique allemande, sans s’affirmer sauf dans le cas de l’Italie. Déjà, la Commission ne semble pas vouloir engager dans l’immédiat une procédure de déficit excessif pour l’Italie, qui pourtant s’imposerait sur le papier. Mais la suite ne va pas être une partie de plaisir, vu le dogmatisme économique qui sévit dans le monde politique allemand.
Dans son rôle de gardienne de la rigueur budgétaire, la Commission va avoir fort à faire et devoir rechercher des accommodements, ce qui explique l’importance accordée par les dirigeants allemands à la nomination à sa tête de leur candidat, pour bloquer ces velléités.
Faute d’un déblocage au niveau politique et de l’absence d’une politique de relance économique, préconisée de partout, la BCE étudie une nouvelle intervention, qui ne sera qu’un pis-aller comme cela n’a jamais cessé d’être dit, et dont l’avenir est incertain en raison du renouvellement de sa présidence. On n’aura jamais entendu Mario Draghi autant encensé pour sa souplesse et sa créativité, qualités qui collent difficilement avec la personnalité de Jens Weidmann, le patron de la Bundesbank candidat à sa présidence. Mais c’est le prochain épisode…
Pris à leur propre piège et divisés entre eux, les dirigeants européens vont-ils se donner les moyens d’en sortir ? Formellement, une modification des règles qu’ils ont introduite dans les traités réclame l’unanimité. Il ne resterait plus qu’à les dénoncer unilatéralement, vu le contexte, mais cela imprimerait une telle secousse à la zone euro qu’on ne les voit pas en prendre le risque. Seule une nouvelle crise aiguë pourrait bouleverser la donne. Au mieux, nous allons entrer dans l’ère des petits accommodements.