Devenu l’homme fort du système, Ahmed Saïd Salah avance masqué. Des plans sont prêtés au chef d’état-major de l’armée, mais il se pourrait tout aussi bien qu’il improvise depuis des semaines. Après tout, la situation est totalement inédite et rien dans son expérience si particulière du pouvoir ne l’a préparé à y faire face.
Cela fait dix semaines que cela dure. Chaque vendredi lors des grandes marches, toujours la même question est posée, « la mobilisation va-t-elle faiblir ? », et à chaque fois la même réponse est fournie : « non ! ».
Le seul objectif de ce général d’une armée qui n’en manque pas est de sauver à moindre frais le système dont il a désormais pris la tête, en laissant planer l’incertitude sur ses véritables intentions et en jouant sur l’intimidation. Car s’il est désormais à son tour conspué pour avoir de notoriété publique trempé dans tout ce qui a précédé, il n’en est pas de même d’une armée donc chacun sait qu’il faudra composer avec elle.
Hors de question pour celle-ci, tant que cela pourra être évité, d’affronter brutalement le mouvement et d’être conduite à assumer en première ligne les tâches gouvernementales. Le système a besoin d’un paravent, un président et un gouvernement dont elle tient les manettes, son exercice favori. En conséquence, l’élection du futur président a été arrêtée au 4 juillet prochain, dans le cadre qu’elle fixera, l’enjeu restant d’y parvenir dans « la stabilité des institutions », c’est à dire sans remise en cause d’un système dont le peuple réclame qu’il dégage !
Ahmed Saïd Salah est seul, car le chef de l’État par intérim Abdelkader Bensalah et le premier ministre Noureddine Bedoui brillent par leur absence, le président du Conseil Constitutionnel Tayeb Belaiz ayant démissionné.
Tel un anaconda qui étouffe progressivement sa victime, l’armée instaure ici des barrages filtrants et interdit là une conférence de presse. À ce jeu, qu’elle peut accélérer ou ralentir, elle a encore des semaines devant elle pour parvenir à ses fins. Elles ne seront pas de trop. En attendant, l’armée démantèle le clan Bouteflika, le sort de son frère restant toutefois inconnu, mais pas le système.
Réaction inattendue des manifestants, ils ne veulent pas d’une justice expéditive ! L’État de droit est valable pour tous sans discrimination ! Étonnante maturité d’un peuple à qui on ne l’a fait plus, fort de la grande confiance qu’il a désormais en lui.
L’issue de la confrontation en cours n’est pas prévisible, et le sort du pays est en jeu. Quels gages le système pourrait-il fournir pour se rendre acceptable ? A contrario, quelles garanties pourraient-elles être données à l’armée ? Au sein de quel processus de transition et par quelle alchimie un compromis acceptable serait-il envisageable ? Comment tourner la page et construire le pays comme sa jeunesse le réclame ?