Pierre Moscovici a cru pouvoir prononcer une sentence définitive en affirmant que « la dette est l’ennemi de l’économie, elle est l’ennemi du peuple européen ». Bien évidemment, il n’entendait pas par là l’endettement en général, mais la dette publique. Rien de nouveau, direz-vous, sauf que sa déclaration tombe à contre-temps lorsque l’on observe le comportement du marché obligataire.
Confrontés à la nécessité de placer leurs abondantes liquidités, les investisseurs se défient dorénavant d’un marché boursier baissier et anticipent que la hausse des taux sur le marché obligataire – donné comme haussier et allant diminuer la valeur des titres d’autant – n’est plus d’actualité pour la BCE. Et, lors des dernières émissions autrichiennes, belges, italiennes, espagnoles, et même de la grecque, la demande des investisseurs a été en conséquence très nettement supérieure aux montants des adjudications. Dans le cas de l’Italie, une émission à six mois a même donné un taux négatif ! Dans celui de la Grèce, les investisseurs classiques ont pris le pas sur les hedge funds qui délaissent dorénavant ces adjudications. Aurait-on tort de prendre inconsidérément la parole au nom de marchés chargés de jouer les croque-mitaines lorsque le besoin s’en fait sentir ?
Les prêtres de la religion féroce rencontrent quelques difficultés avec leurs théories ! Car le marché obligataire sert de refuge aux investisseurs, confirmant que la dette publique est un point d’appui du système financier, et qu’ils ne réagissent que lorsque qu’elle dérape au risque d’être insoutenable. Et si les dernières alertes autorisées, notamment celles du FMI, ont pointé du doigt la dette obligataire, elles visaient celles des entreprises…
Mais les gardiens du Temple ne reculent devant rien pour justifier leur politique. Jürgen Stark, un ancien chef économiste de la BCE qu’il a quitté en 2011, entame un procès envers Mario Draghi, qu’il accuse d’avoir réinterprété incorrectement la cible de l’inflation de la banque centrale. Selon lui, celle-ci doit être dessous 2% et proche à moyen terme, et non pas dessous mais proche de 2%, ce qui renvoie à l’exercice difficile des anticipations de l’inflation. Si on comprend la cause dont il se fait le héraut, ce distinguo permettrait de relever sans attendre l’obstacle, le taux directeur de la banque derrière lequel le directoire de la BCE se réfugie, la politique que défendent les autorités allemandes afin de soulager leurs banques et les retraités souffrant des taux bas. Or on sait, toute considération théorique mise à part, que les banquiers centraux – et pas seulement Mario Draghi – sont très précautionneux en matière de relèvement des taux pour des raisons pratiques, craignant la fragilité des montages financiers des investisseurs.
On dit qu’Angela Merkel vise dans le Mercato qui s’annonce la présidence de la Commission pour un Allemand et qu’elle cherchera à ce que celle de la BCE soit confiée à un autre partisan de sa politique afin d’avoir toutes les cartes en main, sa nationalité devenant alors chose secondaire.