Le capitalisme en pleine mutation

La mutation du système financier se poursuit. Dans un premier temps, on a observé que la réduction progressive des programmes monétaires d’assouplissement quantitatif des banques centrales – aussi appelés non conventionnels – n’allait pas être une partie de plaisir. D’autres indicateurs surprenants sont depuis venus déranger les schémas de pensée les plus mal établis.

La croissance n’est plus ce qu’elle était, sans que l’on sache trop pourquoi. L’inflation n’est pas non plus au rendez-vous, pas seulement au Japon où ce n’est pas nouveau, mais aussi en Europe où elle ne parvient pas à se rétablir. Quand donc les économistes « mainstream » vont-ils finir par convenir qu’une véritable mutation est en cours et que tous ses contours ne sont pas encore discernables ?

L’élargissement implicite des missions des banques centrales, sur lequel il ne pourra pas être revenu, était déjà un signal. Et, à ce stade, rien ne permet de garantir qu’elles pourront redonner à leurs bilans leur dimension d’origine. Au contraire, les tentations pourront grandir, le danger de l’inflation n’étant plus de saison, de faire financer le désendettement par voie de création monétaire comme certains économistes iconoclastes le proposent. Sans aller jusque-là, l’ancien économiste en chef du FMI Olivier Blanchard remarque en insistant que le désendettement intervient tout seul lorsque le taux obligataire moyen est inférieur au taux de croissance et d’inflation cumulés. Il ne faudrait donc pas faire de la dette publique un fromage, sa stabilisation étant à portée.

Les phénomènes inédits ne manquent pas. L’énorme montant de titres obligataires souverains assortis d’un taux zéro ou inférieur, qui a dernièrement bondi, en est un de taille : les 8.400 milliards d’euros qui sont en passe d’être atteints représentent plus que la dette allemande, française et italienne réunies. Il est donné comme explication que les investisseurs cherchent un refuge, préférant ne pas toucher d’intérêts, voire même payer en cas de taux négatif, pour préserver leur capital des dangers à venir qu’ils pressentent. Mais n’y a-t-il pas un autre phénomène derrière ce comportement déroutant ?

Les obligations souveraines, réputées sûres par convention comptable, sont la clé de voute du système financier, matière première du collatéral qui garantit les transactions. Pour cette raison impérieuse, il ne saurait plus être question d’accorder des remises de peine comme antan, rendant risqués ces titres auparavant de qualité et leur faisant perdre leur rang de collatéral tout en déstabilisant le système financier faute d’actifs de substitution. L’affaire est d’importance, le tabou non sans fondements.

Rassurons-nous, les investisseurs font coup double : en protégeant par leurs achats leur capital, ils créent du collatéral indispensable à l’équilibre du système financier. A contrario, on ne parle plus des velléités du Comité de Bâle d’introduire un risque sur la détention d’obligations souveraines, avec pour objectif de mieux renforcer les capitaux propres des banques. Entre reconnaître ce risque pour renforcer les banques et le nier pour ne pas déstabiliser le système financier, le choix est rude !

Dans l’actualité, il n’y en a que pour la dette publique, pour des raisons en vérité purement idéologiques. Mais le vent est en train de tourner. Le poids de la dette des entreprises, qui augmente le plus rapidement, est souligné par la Banque des règlements internationaux (BRI) qui s’en alerte. Celle-ci pèse près de 15.000 milliards de dollars aux États-Unis, et 12.000 milliards en Europe. Conduisant Janet Yellen, l’ex présidente de la Fed, à parler à son sujet de « risque systémique », une expression employée quand on veut signifier que l’on ne sait pas le combattre. Elle l’a utilisé à propos des prêts « à effet de levier », dont le montant est très élevé par rapport au capital de l’entreprise qui les a contractés. Et qui, circonstance aggravante, font l’objet d’opérations de titrisation… C’est aux États-Unis que l’on rencontre le plus cette situation, ce qui nous rappelle quelque chose ! Certes, pratiquant l’apaisement, les analystes minimisent tout danger. Tout ira bien tant que l’économie n’entrera pas en récession, concèdent-ils, ce qui n’est pas exagérément rassurant.

Si la dette globale s’accroit indéniablement, c’est que les effets parasitaires accentués de la mauvaise allocation du capital sont passés par là. Le capitalisme financier détourne les capitaux du soutien de l’économie, de meilleurs rendements étant accordés à la spéculation. Puis il se rémunère autant que possible sur les prêts accordés pour le compenser. Avec la crainte que cette rémunération diminuant, le volume des prêts et leur risque augmentent. C’est cette dynamique qu’il faut enrayer, et cette clé actionner pour renverser le maléfice, au lieu de s’en remettre à un marché pourvu d’une puissance divine auprès du bon peuple. Car les financiers sont bien placés pour ne pas y croire, laissant à leurs laudateurs cette croyance d’un autre âge.

8 réponses sur “Le capitalisme en pleine mutation”

    1. Bonjour,

      Il est possible d’être moins radical que CloClo et de ne pas s’arrêter à la source… quand bien même cela suffirait !

      Avant 4 minutes : création monétaire par les banques commerciales. Les vieux mythes ont la vie dure ! Mais cela rejoint deux tendances lourdes de S&P : 1/ le complotisme (création monétaire) ; 2/ s’il peut être rotschildien et donc juif, c’est encore mieux ;

      Complotisme, anti-sémitisme, on sait quand même de quel côté on penche…

      Petite expérience perso de mes années de fac, les profs étaient obligés de nous mettre en garde contre le recrutement pratiqué à échelle semi-industrielle sur le parvis de l’université. Prosélytisme et attitude sectaire même si l’aspect politique (plutôt que religieux, hors culte de la personnalité) rend le classement problématique.

      Aspect apocalyptique de la chose avec « catastrophe mondiale » à venir (crise monétaire pourquoi pas), on est plus proche de témoins de Jéovah que de l’agence de notation…

  1. « Aspect apocalyptique de la chose avec « catastrophe mondiale » à venir (crise monétaire pourquoi pas), on est plus proche de témoins de Jéovah que de l’agence de notation… »

    Essayez le blog de PJ, puis allez lui dire qu’il est une secte 😉

  2. Je ne m’arrête jamais à la source, sauf pour boire de l’eau fraîche. Ici, j’ai écouté la vidéo en entier. J’avoue que j’ai déjà oublié de quoi ça parle. Ah oui du Krach. Bof, rien de nouveau quoi.

    Moi je constate, de ma fenêtre, qu’en 2019, y a encore des gens qui balancent leurs bouteilles d’eau par la fenêtre de leur voiture, ou leur reste de Mac machin, leurs déchets en tout genre, chaque jour lors de ma balade à pieds, je vois des sacs plastiques voler, le long du fleuve. Je croise chaque jour plein de monde, qui s’affaire dans tous les sens, collé à son smartphone, comme moi aussi quand je lève la tête. Quand j’ouvre le frigo j’ai toujours un petit truc à grignoter, et quand j’ouvre le robinet toujours un petit truc à boire. Béh croyez moi ou pas, simplement avec ça je sais, que cela va craquer ! Même pas besoin de la finance bidule machin pour le savoir et/ou expliquer quoique se soit.

    Car comme le disait Bernard Friot, une société même égalitaire, même avec un salaire à vie, cela n’enlèvera en rien la violence des rapports humains/sociaux, et ne diminuera en fait en rien la prédation de l’Homme sur la Nature, (je mets des majuscules par convention uniquement). Même la gratuité de Paul Jorion, n’y changera rien. Cela va craquer. Il n’y a AUCUNE solution, RIEN à faire de véritablement efficace pour éviter cette fin. C’est ainsi, à terme on est individuellement et collectivement foutus ! Mais par dignité et sens du panache, avec cet élégance sobre, autant partir en se tenant la main et en se souriant, qu’en s’arrachant les cheveux et en pleurant terrorisés. C’est mon point de vue et je le partage. Après on peut vouloir se battre, c’est sur, lutter, c’est sur. Ou pas !

    Plus je les lis et les côtoie plus je trouve je ne supporte plus mes semblables, et moi même par la même occasion. Alors se tenir la main en souriant pour la finale ça ne va pas être facile. Mais quoi d’autre ?

  3. Salut CloClo,

    Jamais présumé de ta lecture intégrale, je me contentais de souligner que certaines « sources » situaient le débat ainsi que tu le faisais remarquer. Bien placé en outre pour savoir que certaines – en dépit de la qualité de leurs analyses – sont souvent méprisées.

    Sur ton bilan, tu ne prêcheras pas un convaincu !

    N’entraînant personne après moi dans ce merdier, je me sens assez libre de prophétiser la fin au vu des constats personnels quotidiens effectués. Et franchement, je suis pas sûr qu’on mérite autre chose… ou que la vie humaine soit à ce point indispensable qu’on puisse souhaiter sa perpétuation !

    Sachant de plus que mon espérance de vie est maintenant drastiquement restreinte, je vais te dire, je m’en cogne ! Je serai mort avant et après moi, le déluge… Ce qui n’empêche pourtant pas, l’intolérance à l’injustice hic et nunc, injustice qui semble être la seule véritable constante des constructions humaines à travers les siècles !

    Si seulement on pouvait se contenter de dégager sans tout bousiller, voilà où je situerais l’élégance.

    Bonne fin du monde à tous, merci M. Leclerc pour vos analyses – parfois un peu denses – vous aussi mériteriez mieux que de faire la quête tous les mois, bonne année CloClo et merci pour l’humour et l’esprit critique souvent.

  4. @CloClo et 2Casa

    Même au pire, en imaginant un scénario de guerre nucléaire totale où toutes les ogives seraient utilisées, la vie s’en remettra. Un siècle d’hiver nucléaire, 100 à 200.000 ans pour que la radioactivité décroisse suffisamment. Il restera encore de 800.000 millions à 1 milliard d’années avant que le soleil mourant ne détruise définitivement la vie sur Terre.

    Aux échelles de temps géologiques, toutes les espèces qu’elles soient végétales ou animales sont transitoires, seules les unicellulaires perdurent (et dans le scénario de l’auto-extermination nucléaire, la plupart ne s’en rendront même pas compte).

    Un dernier mot pour nous remonter le moral: les statistiques basées sur les cartographies spatiales sont formelles, ils existent des centaines de milliards de planètes bleues (et combien de lunes potentiellement habitables ?) dans notre seule galaxie.

    Notre pouvoir de nuisance se limite donc au maximum à pouvoir saloper, provisoirement, une seule planète dans le vaste univers.

    Carl Sagan y voyait là un mécanisme de protection : en gros, les espèces agressives et incapables de maitriser leurs instincts, s’autodétruisent avant d’attendre le stade technologique où elles peuvent se disperser à grande échelle dans le cosmos.

    Une hypothèse que je trouve plutôt rassurante.

    Carpe diem.

  5. Roberto,

    tu développes les deux pans de la suite de ma réflexion aux posts précédents :

    1/ je voyais plutôt l’apoptose de Jorion, même à titre individuel, fin du programme de duplication !

    https://www.youtube.com/watch?v=rcx-nf3kH_M

    2/ dans le cas de disparition humaine, effectivement, je pense aux centrales et aux déchets que nous laisserons derrière nous. Et là, deux choses : a/ à l’échelle du temps long et de l’infinité de l’espace c’est pas très grave ; b/ bien plutôt que par les robots et une action délibérée de notre part, je vois notre « perpétuation » par les conséquences non maîtrisées des mutations induites par nos agissements inconsidérés.

    Même là à l’insu de notre plein gré – lecture de queue de peloton des ruses de la raison !

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