Les annonces d’Emmanuel Macron sur le tapis, les réactions d’insatisfaction des Gilets jaunes recueillies, deux questions restent posées. Le mouvement va-t-il ou non, comme espéré, s’éteindre progressivement, un dernier « acte V » de la mobilisation intervenant avant les fêtes ? Quel va être le coût de ces mesures, qui va les régler et comment vont-elles être financées sur fonds publics ?
En faisant principalement porter la charge financière sur le budget de l’État et en exonérant les entreprises et les plus fortunés, le président français n’a pas vraiment créé la surprise. Il ne l’a pas davantage suscitée en maintenant mordicus son programme de réformes. Mais il va devoir assumer les conséquences de sa tentative d’achat de la paix sociale devant la double nécessité d’adopter un plan d’économies budgétaires et d’assumer un dépassement du plafond des 3% de déficit – un sacrilège présenté comme provisoire qui va ouvrir la porte à de plus amples débats. D’autant qu’il ne peut plus être attendu côté allemand une ouverture en contrepartie, dont aucun signe ne se manifeste.
Les mesures déjà décidées vont coûter entre huit et dix milliards d’euros, selon Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des comptes publics. Auxquels il faut ajouter environ 4 milliard d’euros au titre de la suppression de la hausse des taxes sur le carburant et le gel des tarifs du gaz. Comme il ne semble pas être question de repousser la transformation des crédits impôts des entreprises en baisse des charges, prévue au 1er janvier prochain, la France va immanquablement rejoindre l’Italie au club des mauvais élèves, après avoir quitté il y a peu de temps la procédure pour déficit excessif.
Que va faire le gouvernement ? Un dépassement de la règle des 3% « ne choquerait pas » Gabriel Attal, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. « Pour l’année 2019, avec cet état d’urgence économique et social et ce choc en matière de pouvoir d’achat, on n’a pas besoin d’avoir les yeux rivés sur un tableau Excel », a-t-il défendu.
La France va devoir « sans doute creuser le déficit » public de manière « strictement temporaire », a reconnu pour sa part Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale. Et Pierre Moscovici, le commissaire européen aux Affaires économiques, a d’ores et déjà dédramatisé l’évènement en soulignant que « il n’est pas question de retour à une procédure de déficit excessif », car « Il faudrait pour cela être au-dessus de 3% pendant deux ans, ou au-dessus de 3,5% pendant un an ».
Dans l’immédiat, Emmanuel Macron pourra toujours se prévaloir, à la manière de l’Italien Matteo Renzi lorsqu’il cherchait à biaiser, de l’« état d’urgence économique et social » pour justifier son dérapage. Mais ses mesures vont-elles permettre un solde de tout compte, s’agissant d’un mouvement dont il a lui-même reconnu qu’il fallait remonter quarante ans en arrière pour trouver ses racines. D’autant qu’il n’a que très partiellement répondu à une longue liste de revendications qui ne demande qu’à s’allonger. Et que celles-ci ne se limitent pas à exiger de sérieux rattrapages en matière de revenus.
Les Gilets jaunes, « la France d’en bas » en d’autres temps, souffrent d’un manque de considération et d’attention, et cela a été bien compris par une opinion publique qui s’est massivement rangée à leurs côtés. Ils expriment une crise à la fois sociale et politique, et au nom de cette dernière proclament leur autonomie. On se trouve là face à un niveau d’exigence pour lequel le cadre institutionnel actuel n’a pas de réponse. Décidément, on ne peut décrire un nouveau monde qu’à la condition d’avancer à grandes enjambées.
Comme d’habitude, les plus hautes autorités se voilent la face. Il est difficile de ne pas voir dans la confluence des évènements actuels un pas de plus contribuant au démantèlement de l’Union européenne si celle-ci n’est pas profondément reconfigurée à temps. Mais on ne peut pas demander à ceux qui tiennent les rênes d’en être à l’origine. Cela laisse toute entière la question des voies qui restent à trouver afin d’y parvenir. À court terme, certains ont préconisé l’organisation d’un « Grenelle » à l’ancienne mode, signifiant qu’ils n’ont pas compris la nature du mouvement.
Les Gilets jaunes sont désormais une composante de la vie politique.
« … démantèlement de l’UE si celle-ci n’est pas profondément reconfigurée à temps. » : Il me semble que c’est trop tard, quoi qu’il advienne maintenant. Les Gilets-jaunes révèlent l’impasse de la construction européenne et accélèrent sa désagrégation, consciemment ou non. Personnellement, je ne la regretterai pas.
Ce texte, pour une mise en perspective :
https://www.les-crises.fr/gilets-jaunes-le-sens-dune-revolte-par-eric-juillot/
« L’état d’urgence économique et social » : en fait je n’avais pas saisi le sens de cette expression : mots codés à l’attention de Bruxelles pour justifier une dérogation au sacro-saint déficit supérieur aux 3%. Côté Allemagne, on pourra dire que le « Nein » poli opposé à l’idée d’une relance au niveau européen, débouche aujourd’hui en partie sur cet « état d’urgence économique et social »… il aura fallu 18 mois. Mais l’histoire ne s’arrête pas, et la divergence entre pays de l’UE et de la zone Euro se poursuit. Pour la première, le Brexit bien sûr, pour la seconde, la France qui « rejoint » l’Italie. Et sur cette Europe, les élections prochaines sont de mauvais augure….