Malgré les sujets d’inquiétude qui s’amoncellent, la BCE maintient ses projets de désengagement, mais sans les accélérer. Une manière d’adopter l’attentisme face à la multiplication des inconnues. Sans même évoquer les effets de la guerre commerciale mondiale sur l’économie européenne, le Brexit va affecter le périmètre de l’Union et la crise italienne menacer celui de la zone euro. Voilà qui justifie quelque prudence, qui plus est dans le contexte d’un affaiblissement de la croissance !
Certes, la BCE prévoit d’arrêter ses achats d’actifs en décembre prochain, mais elle maintient « au plus bas » ses taux directeurs jusqu’à l’été 2019. Et elle entend renouveler « aussi longtemps que nécessaire » son portefeuille de dettes parvenant à échéance afin que son bilan reste dimensionné à 2.600 milliards d’euros. Ce qui ne peut être qualifié de renversement de la vapeur.
L’année prochaine, elle devrait ainsi acheter pour la seule année pleine 100 milliards d’euros de nouveaux titres afin de compenser le montant de ceux qui parviendront à maturité. Dans quelle proportion et suivant quels pays ? Une décision très sensible devra être prise, qui pourrait en particulier affecter l’achat de titres italiens qui ne feraient plus partie des acquisitions. La politique aura son mot à dire sous couvert de la décision très technique et planifiée de la modification de la clé de répartition des achats. La BCE aura du grain à moudre à négocier en sous-mains !
À propos de l’Italie, Mario Draghi s’est contenté lors de sa conférence de presse d’un laconique « je n’ai pas de boule de cristal », tout en calmant le jeu. Sa neutralité d’aujourd’hui tranche avec la participation de la BCE à la Troïka de triste mémoire, aux côtés de la Commission et du FMI, quand il a fallu gérer les précédentes crises, dont la grecque.
Ce nouveau positionnement ne dépare pas avec l’attitude des gouvernements européens qui laissent à la Commission le soin de démêler l’inextricable situation italienne. Celle-ci est chargée de la délicate mission de contourner la tempête tout en faisant formellement respecter les règles. Elle a rejeté le budget italien, mais cela pourrait la conduire à l’adoption d’une procédure de déficit excessif d’une éventuelle nouvelle version. Cela aurait le mérite de prendre des mois, afin de gagner du temps, de sauter le cap des élections européennes et d’atteindre la fin de son mandat…
Avec l’Italie, on a totalement changé d’échelle, la dette italienne de 2.500 milliards d’euros représente près de huit fois celle de la Grèce. Personne ne veut d’une crise aiguë, car les sommes qu’il faudrait mobiliser sont gigantesques, d’autant que celle-ci affecterait immédiatement les banques italiennes, qui détiennent massivement la dette nationale, ce qui déstabiliserait le système bancaire européen. Les commentaires mettent l’accent sur l’irréalisme des engagements financiers du gouvernement italien, mais ils se gardent bien d’évoquer ce scénario catastrophe.
Les autorités européennes ont mesuré l’étendue des dégâts devant lesquels elles se trouveraient en cas de dérapage. De ce point de vue, le gouvernement italien et la Commission se tiennent par la barbichette. Mais on ne peut exclure qu’en dépit de toutes leurs déclarations de bonnes intentions, les autorités italiennes n’aient pas toujours en tête un plan « B » qui consisterait à faire porter sur leurs interlocuteurs et les marchés la responsabilité d’une situation intenable. Elles pourraient alors convaincre les Italiens, qui selon les sondages n’y sont pas favorables, à sortir de l’euro pour recapitaliser en lires les banques du pays qui sans cela s’écrouleraient. À moins que la création d’une monnaie parallèle qui n’impose pas une telle sortie rejaillisse des cartons.