Wall Street fête ces jours-ci son excellente tenue et ses intervenants manifestent un grand optimisme pour l’avenir. Rien n’est depuis 2009 venu altérer les performances de son indice vedette, le S&P 500, date à laquelle il avait perdu la moitié de sa valeur antérieure, pourquoi cela ne continuerait-il pas ?
La Fed est depuis passée par là en injectant des centaines de milliards de dollars de liquidité et abaissant drastiquement ses taux, donnant libre cours à cette exubérance boursière. Avec comme effet l’envol de plus de 300% des cours boursiers en neuf ans. La réduction du taux d’imposition moyen sur les bénéfices des entreprises ainsi que le programme massif d’investissement de Donald Trump de l’année dernière ont depuis pris le relais, contrebalançant par avance les effets de la prudente hausse de ses taux.
Il est bien attendu du recalibrage de ses mesures accommodantes une augmentation des taux obligataires incitant les investisseurs à se désengager du marché boursier pour se reporter sur celui des obligations. Comme il est de tradition quand c’est leur intérêt. Mais le jeu n’en vaut aujourd’hui pas la chandelle, en raison d’une hausse des taux sur un marché obligataire dont les rendements sont encore trop faibles une fois déduite l’inflation.
Les profits des entreprises américaines sont énormes, sans qu’elles soient inclines à investir dans une économie à la croissance restant très mesurée. Elles préfèrent racheter leurs actions afin de faire croître leur bénéfice net et d’en faire grimper le cours, entretenant la hausse de la Bourse. D’où l’émergence d’un débat aux États-Unis autour de la « stagnation séculaire » et une interrogation sur ses origines. Les attribuer à un persistant problème d’offre – et non de demande – allant de soi car cela permet d’éluder toute réflexion sur la mauvaise allocation du capital et l’inégalité grandissante des patrimoines et revenus, ainsi que sur les remèdes à y apporter. Ainsi que de justifier les largesses aux entreprises. Ainsi, la faiblesse de la croissance garde ses mystères sur lesquels les économistes dissertent à n’en plus finir.
Pour la suite, les sujets d’interrogation ne manquent pas. Que ce soit à propos des conséquences de la guerre commerciale tout azimut menée par Donald Trump pour l’économie américaine ou à propos d’autres situations au centre de l’actualité : l’affrontement avec le régime turc ou l’évolution de la situation italienne. La réunion annuelle des banquiers centraux de Jackson Hole de cette fin de semaine donnera l’opportunité d’échanger des points de vue à ces propos, mais parviendra-t-elle à éclaircir l’avenir ? On peut en douter, le propre de la situation actuelle étant d’être plus que jamais impénétrable.
Au terme de l’enquête biannuelle de la National Association for Business Economics (NABE), qui fait autorité aux États-Unis, il ressort que 90% des 251 économistes interrogés sont dubitatifs à propos des effets de la hausse des tarifs douaniers et de la politique de relance de Donald Trump. 80% d’entre eux estiment que la priorité devrait être donnée à la réduction du déficit, alors qu’elle prend le chemin opposé. Celui-ci devrait gonfler à mille milliards d’euros d’ici deux ans, soit 5% du PIB, selon le Bureau du Budget du Congrès (CBO).
La fuite en avant, cette grande caractéristique des politiques gouvernementales contemporaines, se poursuit aux États-Unis, on n’en sera pas surpris. La nouveauté qu’exprime Donald Trump est qu’il n’est même plus envisagé de solution collective entre grandes puissances mais que le temps du chacun pour soi est arrivé. Un très mauvais signe, car cela revient à tourner résolument le dos aux solutions qui devraient être recherchées, alors que le système financier a conservé intacte sa capacité de nuisance et que sa régulation n’est pas en mesure de l’empêcher de se manifester à nouveau.