Le temps passe et rien n’intervient. Le sort du gouvernement italien dépend-il de la nomination au poste de ministre des finances de Paolo Savona ? Sergio Mattarella résiste à celle-ci et les leaders des deux mouvements persistent à la soutenir, mettant tout le processus en jeu. Pourquoi est-ce aussi important ?
Ce n’est pas son curriculum vitae qui pose problème, le professeur à l’Université de Cagliari ayant notamment été directeur de la Confindustria, l’équivalent italien du Medef. Ni ses antécédents à la tête notamment de la Banca Nazionale del Lavoro ou de Telecom Italia. Il n’a pas vraiment le profil supposé d’un populiste. Alors quoi ?
Paolo Savona a commis l’irréparable dans son dernier ouvrage en qualifiant l’euro de « prison allemande ». Dans une interview au quotidien catholique Avvenire, il a récemment déclaré « je passe pour un des rares économistes institutionnels anti-européen mais ce n’est pas vrai. Je serais en faveur de l’Europe unie, c’est pour ça que je dis le pire de ce que je vois aujourd’hui à Bruxelles ». Ajoutant « les difficultés de l’Europe sont dues aux élites qui la dirigent : elles disent s’occuper du peuple, mais elles ne s’occupent que d’elles-mêmes », ce qui permet de comprendre le choix porté sur lui par les deux leaders des mouvements antisystèmes.
Paolo Savona n’est pas l’homme de la sortie impossible de l’euro mais de l’introduction d’une monnaie parallèle sous forme de reconnaissance de dette afin de desserrer le carcan des traités. C’est le biais que les antisystèmes italiens ont trouvé et qu’ils veulent appliquer, celui de Yanis Varoufakis qu’Alexis Tsipras s’est refusé à suivre. La crise italienne n’est pas la répétition de la grecque. Mais il ne fait pas l’affaire des gardiens du Temple.
En bloquant cette nomination, Sergio Mattarella et Bruxelles jouent avec le feu. Car si la mission confiée à Giuseppe Conte en tant que premier ministre de constituer un gouvernement n’aboutissait pas, il, ne resterait plus à Sergio Mattarella qu’à convoquer des élections. Or les sondages donnent tous une progression de la Ligue, qui pourrait aller jusqu’à mettre en selle sa coalition avec Forza Italia au détriment du Mouvement des 5 étoiles. Est-ce que la présence de l’Italie au sein de la zone euro en sortirait renforcée ?
Quoi qu’il en soit un retournement de situation est intervenu et les Italiens ont les cartes maitresses en main. Car l’Italie n’est pas la Grèce et sa sortie de l’euro n’est pas soutenable, entraînant cette fois-ci l’Union européenne dans une crise dont elle n’a pas les moyens, ne pouvant pas rejouer le coup d’un financement à long terme dont le remboursement ne se fera pas.
Il y a fort à craindre que les tenants de l’Europe libérale en place restent droits dans leurs bottes, pétrifiés dans leurs certitudes, sourds aux lamentations des sirènes populaires, aveugles aux contestations qui montent et les poussent vers la sortie.
Préfèreront-ils la chienlit à l’effacement démocratique ? C’est hélas possible.
Pourtant, c’est connu depuis Machiavel, le meilleur allié du Prince reste le peuple et dans ce monde où montent de nouveaux dominants, les élites européennes seraient bien inspirées de relire leurs classiques.
Ça n’est qu’une impression, mais à l’écoute des interviews post-défaite d’un François Hollande ou d’une Hillary Clinton, ce qui frappe est l’absence totale de remise en question personnelle : les électeurs sont des crétins et l’Histoire me reconnaitra (aussi appelé par la Faculté, syndrome VGE).
Il est fort possible que cet aveuglement soit le dénominateur commun le plus représentatif de la caste des « élites » et de leur manière d’appréhender la réalité.
Une typologie grossière à affiner en fonction des histoires et des cultures nationales bien sûr, mais je poserais volontiers comme hypothèse que pour une grande majorité d’entre-eux, il est inconcevable de penser en dehors du TINA, et donc de penser par soi-même.
À l’inverse, existe-t-il sans doute une minorité parfaitement cynique se disant que des gouvernements disons-le poliment, autoritaires, feront de bien meilleurs interlocuteurs que les « démocraties » parlementaires. Et qu’après-tout, si le système de prédation généralisé fait s’effondrer les écosystèmes, eh bien ça sera le problème de leurs enfants.
Bref, une majorité de crétins diplômés et une minorité de nihilistes. Mais se rejoignant dans la certitude de leur supériorité intellectuelle et leur mépris de classe.
TINA = le titanic. Des ingénieurs sûr d’eux qui avaient imaginé un dispositif insubmersible, avec un système de compartimentage qui devait protéger de toute forme d’avarie. Ainsi voguent les économistes de l’orthodoxie néolibérale, absolument certains de leurs calculs, et incapable d’une remise en cause. À quand le grand naufrage, à quand le grand fracas ?
Il manque le ressort intellectuel et ce pragmatisme raisonné qui ont longtemps animé la pensée bourgeoise, puis capitaliste. C’est ce que démontre Paul Jorion dès ses premiers ouvrages. Pourquoi le raisonnement est-il aussi débile ? Parce que la décadence du capitalisme lui-même est engagée depuis assez longtemps déjà. Même si les origines du déclin sont complètement différentes, on pense à la fin de l’Empire romain où les élites se comportaient comme si l’Imperium existait toujours.
Cette crise provient de l’impossible valorisation du capital comme je tente de le démontrer dans mon dernier petit ouvrage encore à la recherche d’un éditeur.