Premiers craquements dans la digue

Comment opérer le tournant  devant les besoins de financement et répondre à la question qui va devenir lancinante : comment régler l’addition finale ? Elle n’est pas posée ouvertement encore, mais le mur des idées convenues se lézarde.

La Fed a débloqué aujourd’hui 2.300 milliards de dollars d’argent frais destinés aux entreprises de moins de 10.000 salariés – qui emploient 35 millions d’américains – et aux collectivités locales dont le marché des « Municipal Bonds » où elles se financent s’est fortement tendu. On n’en est plus au programme de soutien aux « small business » financé sur budget gouvernemental, pour lequel une grosse rallonge est déjà demandée au Congrès, la Fed a seule les moyens d’être à la hauteur de la situation.

La Banque d’Angleterre a fait la une ce matin en décidant d’activer son programme de financement gouvernemental intitulé « Ways and Means facility ». Il l’avait déjà été aux lendemains de la crise précédente et 20 milliards de livres avaient été tirées à cette occasion, mais il est cette fois-ci question d’un montant illimité. Il y a encore quelques jours, l’hypothèse de son activation était rejetée par Andrew Bailey, le gouverneur de la banque. Pour l’instant, les sommes devraient être remboursées avant la fin de l’année. Selon le gouverneur, il a pour objet d’aider le gouvernement à « ne pas dépendre du marché pour régler ses dépenses », ce qui mérite d’être noté. Dans la même veine, il a ajouté : « heureusement, nous sommes en mesure de débattre ouvertement de l’allocation de nos ressources collectives ».

François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France (à ce titre gouverneur de la BCE) n’a fait pour sa part qu’un plus modeste pas en avant. Se prévalant d’un « risque majeur pour la stabilité des prix » afin de ne pas bousculer trop la doctrine, il a estimé possible qu’« une banque centrale crée de la monnaie afin de financer directement de manière durable les entreprises ». Avec comme commentaire que la récente chute de l’inflation « alimente des réflexions complexes à propos de la politique monétaire d’après crise »…

Christine Lagarde n’en est pas là, tout du moins ouvertement. Mais dans l’immédiat la BCE va s’affranchir des contraintes qui restreignaient ses achats d’actifs en assouplissant les règles qui régissent le collatéral, augmentant ses risques en conséquence. Elle va dans le même temps accepter en garantie les créances des banques européennes résultant des prêts accordés aux PME ou aux ménages, et enfin réduire sa décote sur les actifs apportés en garantie de ses largesses. Additionné à l’assouplissement de la réglementation bancaire, le crédit est débridé en attendant la suite. Et, discrètement, la BCE a lancé un avertissement aux agences de notation devant les effets d’une dégradation prononcée de leurs notes. À bon entendeur…

Pour l’avenir, la présidente de la BCE a laissé échapper, à propos d’une annulation de la dette contractée pour lutter contre la pandémie et ses effets, que « ce n’est pas le moment de se poser la question, on est en train de se concentrer sur le maintien de l’économie, on se posera ensuite la question de la reconstruction. » Mais, une nouvelle fois, elle aurait mieux fait de se taire lorsque, interrogée sur les nouvelles mesures que la BCE pourrait prendre, elle a répondu « oui, mais je ne vous dirai pas lesquelles, parce que leur impact dépendra de la surprise ». La vérité est que les divisions sont fortes au sein du conseil des gouverneurs et qu’elle doit manœuvrer.

L’OCDE est de son côté en pleine introspection. Elle reconnait que les « indicateurs avancés » qu’elle utilise ne lui sont plus d’aucun recours pour ses prévisions en raison des incertitudes actuelles sur la durée et la sévérité des mesures de confinement. Une franchise qui contraste avec celles que l’on peut lire partout et qui annoncent la croissance de l’année prochaine à une décimale près ! Et Laurence Boone, son économiste en chef, se gratte la tête : « les lourdes exigences imposées aux finances publiques ne doivent pas conduire à un endettement insoutenable qui effrayerait les marchés, cela demande une réflexion nouvelle et créative sur les questions de politique macroéconomique ».

Devant l’ampleur de la demande provenant de plus de 90 pays, Kristalina Georgevia, la directrice générale du FMI prend elle aussi le tournant. Elle annonce la diminution des contraintes accompagnant ses prêts, une meilleure utilisation de ses lignes de crédit par précaution ainsi que l’utilisation de ses droits de tirage spéciaux (DTS), dans le cas où la dette d’un pays aux besoins financiers « critiques » est insoutenable, interdirait a priori son intervention.

Son intervention est loin d’avoir la même portée, mais comment ne pas mentionner la proposition d’un économiste français du courant libéral bon teint, Jean-Yves Archer ? : « En prenant du recul, on peut observer que toute l’Europe présente un niveau d’endettement inégalé en temps de paix. Faut-il imaginer une sorte de Bretton Woods de la dette qui définirait et acterait une restructuration crédible fondée sur l’idée que le temps est infini pour les États ? Autrement dit, il s’agirait d’un rééchelonnement pluridécennal assis sur notre potentiel productif et gagé par une partie de nos épargnes nationales respectives. »

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