Nous ne voudrions pas être à notre place

Combien de temps faudra-t-il et quels chemins tortueux devront être empruntés pour que les plus hautes autorités européennes reviennent sur les dispositions budgétaires et d’endettement d’un traité qui fait beaucoup de dégâts mais qu’elles ont signé des deux mains ? Peut-on encore oser y penser ou faut-il se résigner à l’immobilisme ?

Il est largement reconnu que les dirigeants allemands, acharnés au verrouillage, ont les clés en main. Mais toutes les spéculations à ce propos ont été régulièrement déçues. D’autant que cela ne dépend pas uniquement d’eux, leur idéologie ordolibérale n’est pas seule en cause. La politique de rétention budgétaire adoptée en catastrophe convenait à tous ceux dont le rêve inaccompli était de restreindre les capacités d’intervention des États pour laisser le champ libre au chevalier blanc du marché. Le désendettement a été et reste un formidable prétexte à ce transfert. Un coup double a été réalisé : le système financier a été sauvé à coups de fonds publics, et l’accroissement de la dette qui en a résulté a été vilipendé, prétexte à dénoncer des États vivants au-dessus de leurs moyens. C’est déjà oublié !

Les timides marges de manœuvre budgétaires des autorités italiennes ont atteint leurs limites, et la tentative française d’un budget d’investissement européen significatif a tourné court. La chute des taux obligataires, qui diminue le coût de l’endettement de manière spectaculaire et qui est pressenti être durablement installé, n’entraîne aucun revirement. Est-ce à dire que tout est irrémédiablement figé ?

Un grand tournant n’étant manifestement pas à l’ordre du jour, une lente et timide révision des règles visant à les adoucir va en faire fonction. L’étau doit être un peu desserré, sans que cela ne donne lieu à un quelconque mea culpa. L’obscur calcul du déficit structurel pourrait en être l’occasion, la lutte contre un réchauffement climatique en mal de financement étant un beau prétexte. Politiquement, des marges de manœuvre doivent être dégagées, restent à en trouver l’occasion et la forme !

Une voix d’importance s’est fait entendre en Allemagne, accréditant cette lente évolution. Dans une interview à la Süddeutsche Zeitung, Jens Weidmann – l’inflexible président de la Bundesbank – a tempéré ses critiques vis à la politique de la BCE et a déclaré : « nous ne devrions pas faire du déficit zéro un fétiche ». C’est à la fois un renfort appréciable au camp de ceux qui en Allemagne réclament l’abandon de cette règle budgétaire au profit d’une relance des investissements, et la délimitation de l’acceptable.

La poursuite de la formule de la Grande coalition s’en trouve renforcée malgré l’inflexion de la politique du SPD qui en a fait douter un moment. Cela n’augure pas de grands bouleversements introuvables, mais d’une lente évolution sous la pression des circonstances. Celle-ci n’a d’ailleurs pas pour origine l’amorce d’un changement de politique européenne, mais la situation économique d’une Allemagne qui s’est retrouvée tout au bord de la récession et dont le modèle économique reposant sur les exportations n’est plus en phase avec son temps, dont l’industrie automobile, son fleuron, a raté une marche de l’escalier.

Leur monde est décidément mal fait ! Alors que les liquidités continuent de couler à flots dans le système financier, ces mêmes autorités européennes vont s’empailler pour dégager un budget européen pluriannuel, tout en tendant la main aux acteurs du « green business » pour tenter d’atteindre une « neutralité carbone » sinon inatteignable. Demain, quel regard porteront les historiens sur notre époque, si nous en réchappons ?

4 réponses sur “Nous ne voudrions pas être à notre place”

  1. Le Japon a un déficit public supérieur à 250 % du PIB et cela ne semble pas les tracasser, il s’agit essentiellement d’une dette intérieure. Pourquoi ne pas s’inspirer de leur stratégie ?

      1. Puisque tout le monde passe tôt ou tard par l’Hôpital, un exemple concret pour expliquer les techniques de pillage mises en place par Bercy

        De l’usage de la dette pour miner le service public hospitalier
        Par Martine Orange
        Annoncée avec emphase par le gouvernement, la reprise partielle de la dette hospitalière par l’État se révèle dans les faits dérisoire. Cet endettement, alourdi parfois par des prêts toxiques, a été voulu, organisé depuis le début des années 2000. La paupérisation du service public hospitalier par la dette continue son œuvre.
        C’est la seule mesure du plan d’urgence pour les hôpitaux qui a quelque mérite aux yeux des personnels hospitaliers. Dans la liste des annonces présentées par le gouvernement le 20 novembre, l’allègement de la dette des hôpitaux est la seule disposition qui fait consensus. Le dispositif peut permettre de soulager un peu l’hôpital, selon les soignants et les médecins. Au contraire de toutes les annonces faites par le gouvernement.

        Après plus de dix mois de grèves dans les services d’urgence, la réponse du gouvernement a été jugée si décevante, si inadaptée sur tous les autres points que les soignants et les médecins vont manifester à nouveau le 30 novembre. Le syndicat des internes hospitaliers a appelé à une grève reconductible à partir du 10 décembre.
        Les chiffres avancés par le gouvernement se veulent pourtant convaincants : 1,5 milliard d’euros supplémentaires doivent être versés au secteur hospitalier d’ici 2022. Mais l’essentiel de cette aide est reporté à plus tard. Au lendemain de ses annonces, le gouvernement a fait un amendement au budget de la Sécurité sociale. Finalement, il ne sera versé que 200 millions de plus en 2020 aux hôpitaux, priés dans le même temps de réaliser 800 millions de plus d’économie. Et c’est peut-être la même mauvaise surprise qui se prépare autour de la reprise partielle de la dette hospitalière.

        Avec cette disposition, le gouvernement donne l’impression d’avoir fait une immense concession aux personnels hospitaliers. Un mois avant, la reprise de la dette hospitalière par l’État, proposée par la ministre de la santé, Agnès Buzyn, était vigoureusement écartée par le ministre des finances, Bruno Le Maire. Pour lui, il ne pouvait être question d’accepter une telle mesure, qui ne pourrait être qu’un mauvais signal, illustrant le laxisme supposé de la gestion publique. L’austérité étant censée être la mère de la bonne gestion, il fallait s’y tenir. Finalement, Bercy a plié. En apparence.
        « C’est le signe de la grande confiance dans l’hôpital public », a assuré le premier ministre, Édouard Philippe. Cet allègement de la dette des hôpitaux doit permettre de réduire les charges financières et « de retrouver rapidement les moyens d’investir », a-t-il indiqué. À terme, cette mesure devrait permettre de dégager « 800 millions d’euros de marges de manœuvre », selon lui.

        Des chiffres faux

        L’ennui est que ces chiffres sont faux. Les frais financiers liés aux charges d’emprunt du secteur hospitalier sont évalués à 850 millions d’euros aujourd’hui par la Fédération hospitalière de France. Pour parvenir à 800 millions d’euros d’allègement par an, il aurait fallu que le gouvernement accepte de reprendre quasiment l’intégralité des 30 milliards d’euros de dette contractés par les établissements hospitaliers. Il a choisi de n’en reprendre qu’un tiers, soit 10 milliards d’euros. Et encore sur trois ans : ce qui représente une reprise de 3,3 milliards d’euros de dette par an, soit 0,1 % de l’endettement public total. Au mieux, les frais financiers seront réduits à quelque 90 millions d’euros en 2020, selon les premières évaluations de la Fédération hospitalière de France. Une goutte d’eau dans un budget total de 84 milliards d’euros par an.
        Rien n’empêchait le gouvernement de faire un geste d’ampleur et de reprendre la totalité de la dette hospitalière. Même pas les fameux critères de Maastricht. À la différence de l’Allemagne, qui a régionalisé l’essentiel de ses dépenses hospitalières, la dette des hôpitaux publics est déjà comptabilisée dans les comptes publics établis dans le cadre des traités européens. Transférer la dette des bilans des hôpitaux à ceux de l’État n’aurait donc rien changé par rapport aux exigences de déficit et d’endettement imposées par les règles européennes. Cela aurait même pu contribuer à améliorer les comptes publics : l’État emprunte traditionnellement à des taux bien inférieurs à tous les autres, même les organismes publics. Et en ce moment, les taux sont négatifs pour les emprunts d’État.

        La prise en charge par l’État de la totalité de la dette des hôpitaux et des charges financières qui lui sont liées aurait été aussi un moyen de compenser au moins partiellement les 2,7 milliards d’euros qui vont disparaître des recettes de la Sécurité sociale en 2020, à la suite des allègements consentis par le gouvernement (défiscalisation et suppression des cotisations sociales sur les heures supplémentaires, les primes, l’intéressement…). La loi Veil oblige normalement le gouvernement à compenser tous les allègements qui pénalisent le budget de la Sécurité sociale. Mais, cette fois-ci, le gouvernement s’y est refusé.
        Si le gouvernement n’a pas voulu reprendre l’intégralité de la dette hospitalière, c’est moins pour des questions de gestion que de principe. Cela aurait été contraire à sa politique, à ses croyances.

        Depuis plus d’une décennie maintenant, de nombreux économistes ont documenté le rôle de la dette dans la logique néolibérale. C’est l’outil idéal de contrainte pour forcer les États ou tout ce qui relève de la sphère publique – la sphère privée a le droit à de tout autres égards – pour les forcer à reculer, à plier face au tout économique, à la marchandisation du monde.
        La prescription qui est imposée par le gouvernement aux hôpitaux s’inscrit totalement dans cette vision. Il va jusqu’à s’inspirer des pratiques instaurées par la Troïka en Grèce, imposant l’austérité contre des financements : les établissements hospitaliers qui demanderont une reprise de dette devront s’engager, en retour, par contrat avec l’État, « dans une trajectoire de désendettement et/ou dans un plan de transformation », précise-t-il, dans un langage caricatural de ce néomanagement devenu la norme de toute parole publique officielle.
        Faire un autre choix aurait été irresponsable, assure le gouvernement. Délestés de tout endettement, les hôpitaux auraient été poussés à s’endetter à nouveau sans limites, ceux-ci dépensant sans compter, à en croire le gouvernement. « La dette des hôpitaux a augmenté de 40 % en dix ans », insiste le dossier de presse du gouvernement, ancrant l’idée d’une gabegie infinie du secteur hospitalier. Un argument repris par Agnès Buzyn, ministre de la santé, devant l’Assemblée nationale, qui dénonce l’incurie gestionnaire des hôpitaux publics, illustrée par l’explosion de leur dette ces dernières années.

        L’ennui, là encore, est que tout ceci est faux. Deux rapports de la Cour des comptes, le premier en 2014, le second en 2018 retracent avec précision la trajectoire de la dette hospitalière des dernières années. En 2003, la dette des hôpitaux s’établit à 9,8 milliards d’euros. Puis elle s’envole tout au long de la première décennie 2000 pour finir à 29,3 milliards d’euros en 2012. Depuis, comme le constate la Cour des comptes, les hôpitaux ont mené une politique constante de rigueur, en vue de stabiliser les dépenses et de reprendre le contrôle de l’endettement et des charges financières. Avec un certain résultat. En 2019, la dette hospitalière est au même niveau qu’en 2012 : 30 milliards d’euros.
        Un endettement organisé
        Cette dégradation financière du secteur public hospitalier n’est pas seulement liée à un manque de financement, à des erreurs dans des politiques publiques mal maîtrisées. Elle a été voulue, organisée à partir des années 2000. C’est François Fillon, ministre de la santé dans le gouvernement Raffarin – deux hommes qui, pourtant, n’ont cessé par la suite de dénoncer le malheur de la dette « laissée à nos enfants » – qui en a été le grand organisateur. À l’époque, il s’agit de lancer la modernisation des hôpitaux dans le cadre d’un plan nommé « Hôpital 2007 », visant à augmenter de 30 % l’investissement hospitalier.

        Mais le gouvernement a une idée bien arrêtée pour mener cette modernisation : celle-ci ne sera pas financée par l’État comme auparavant mais par l’appel aux banques et aux marchés, par la dette donc. C’est dans le cadre de cette modernisation que le gouvernement introduit un autre levier : la tarification à l’acte.
        Deux mesures clés qui participent au dynamitage du service public de la santé. L’hôpital n’est plus un bien commun, qui s’inscrit dans un réseau de soins organisés, mais une entreprise, qui a ses moyens et ses projets propres, en concurrence avec tous les autres. « Plus l’activité est soutenue, plus l’hôpital gagne de l’argent, exactement comme dans une entreprise », confirmera plus tard Jean de Kervasdoué, l’un des grands inspirateurs de la « modernisation » de la santé en France et notamment de la tarification à l’acte. Cet économiste libéral a sévi à la direction des hôpitaux et au ministère de la santé pendant plus de trois décennies.

        Pour parachever cette transformation, le gouvernement adopte des dispositions qui n’ont l’air de rien mais qui se révéleront dévastatrices pour la suite : d’une part, il supprime tous les contrôles des autorités de tutelle sur les emprunts hospitaliers, d’autre part, les dirigeants hospitaliers, auxquels le gouvernement accorde les pleins pouvoirs face aux médecins et aux responsables de santé, n’ont plus l’obligation de soumettre les plans de financement, les emprunts contractés à l’approbation de leur conseil d’administration. Tous les garde-fous sont levés. Le directeur d’hôpital est seul roi en son royaume, mais sans porter aucune responsabilité, sans qu’il ne lui soit demandé aucun compte.

        À la merci des banques

        Ce recours fléché à l’endettement est accueilli par des applaudissements par le monde bancaire. À l’époque, les collectivités locales et tous les services publics sont des marchés à conquérir pour les banques : il est possible de leur prêter à des taux bien plus élevés que ceux consentis à l’État (en moyenne, les hôpitaux emprunteront durant cette période à des taux de 2 % à 6 % plus élevés que ceux de l’État) et, en même temps, ils sont considérés comme des emprunteurs sûrs, car l’État est toujours garant en dernier ressort.
        Dexia (ancien Crédit local de France), interlocuteur traditionnel des collectivités locales, détient naturellement une part prépondérante de ces marchés (40 %). Toute à sa folie d’expansion, la banque entend bien défendre sa place et même l’accroître, par tous les moyens (voir notre enquête sur Dexia). Mais le Crédit agricole, la Deutsche Bank, les Caisses d’épargne, le Crédit suisse et bien d’autres sont aussi sur les rangs. Tous lorgnent ces nouveaux clients, d’autant plus intéressants qu’ils sont inexpérimentés.
        C’est l’époque où la créativité bancaire est débordante. Taux variables, emprunts indexés sur le yen, le franc suisse, prêts structurés, avec des remboursements différés, au moins au début… : l’imagination bancaire est au pouvoir pour attirer les clients publics, les convaincre que rien ne fait obstacle à leurs projets d’agrandissement, de modernisation, d’expansion, en se garantissant des marges substantielles. Entre 2003 et 2008, la dette hospitalière est ainsi multipliée par deux : elle est alors à 18,9 milliards d’euros.

        Comme les maires, les directeurs d’hôpitaux signent à tour de bras des emprunts, parfois très toxiques, pour agrandir et moderniser leur hôpital. Sans aucun contrôle. En 2012, à la suite de la faillite de Dexia et du scandale des prêts toxiques, une première évaluation de ceux-ci dans le secteur hospitalier sera menée par la Cour des comptes. Selon ses estimations, un milliard d’euros de prêts souscrits par les hôpitaux sont classés comme très toxiques. Les autres prêts considérés à « risque très élevé » sont estimés à 2,5 milliards d’euros. Au total, 12 % du total de l’encours des dettes hospitalières est considéré comme faisant porter un risque élevé aux établissements hospitaliers, se traduisant dès cette époque par des surcoûts de plusieurs dizaines de millions chaque année.

        Les autorités de contrôle n’ont rien vu. Comme elles n’ont rien vu quand les directions s’engageaient tête baissée dans des partenariats public-privé (PPP) pour la construction, l’agrandissement ou la modernisation d’établissements hospitaliers. Une trentaine de contrats en PPP, représentant un endettement global de 1,5 milliard d’euros, remboursables sur des périodes de 18 à 30 ans, seront signés, sans la moindre opposition des autorités de tutelle, pendant cette période. Ce n’est qu’après le scandale de l’hôpital Sud-Francilien que les ministères de la santé et des finances se décideront à les exclure du secteur de la santé.

        La faillite de Dexia au début de la crise financière de 2008, la découverte des emprunts toxiques à la suite de cet effondrement, la crise plus générale de la dette en Europe auraient pu conduire le gouvernement de l’époque à tenter de reprendre les choses en main ou, en tout cas, à revisiter son plan « Hôpital 2012 », bâti sur le même modèle que le précédent. Roselyne Bachelot, ministre de la santé du gouvernement de François Fillon, son prédécesseur à ce poste, décida au contraire de poursuivre sur la même ligne : la modernisation des hôpitaux devait se continuer, sans l’aide des finances publiques, par le biais de l’endettement. Et l’endettement hospitalier continua de grimper de 10 milliards, pour arriver à 29,3 milliards. En dix ans, il avait été triplé.

        C’est la crise de la zone euro en 2011 qui donne finalement un coup d’arrêt à cette fuite en avant. L’heure est à l’austérité, à la rigueur. À son arrivée au pouvoir, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault reprend le dossier, mais sans vraiment changer l’équation financière des hôpitaux. Si le recours à l’emprunt a été quasiment banni, tout le reste demeure inchangé.

        Paupérisation

        Entre-temps, la situation s’était considérablement dégradée : au nom de la rigueur, l’enveloppe globale destinée au financement des hôpitaux n’a pas augmenté, les tarifs pratiqués à l’acte ont été baissés. Dans le même temps, le secteur privé hospitalier, autorisé à se développer sans contraintes, a écrémé les activités les plus rémunératrices (accouchements, appendicectomies, opérations de court séjour), laissant aux hôpitaux la prise en charge des maladies les plus incapacitantes, des soins chroniques comme le diabète, qui pèsent lourd mais rapportent peu, selon les barèmes tarifaires de la Sécurité sociale. Les pouvoirs publics laissent délibérément prospérer une concurrence sans entraves entre le public et le privé, au profit de ce dernier.

        Étranglés financièrement par des charges financières de plus en plus lourdes et des recettes en baisse, les gestionnaires des hôpitaux ne voient qu’une seule issue : l’austérité, toujours et encore l’austérité. Les moyens financiers, humains, matériels ne cessent de diminuer, tandis qu’il est demandé d’augmenter sans cesse les actes, la productivité des agents. Alors que l’investissement hospitalier représentait encore 5 milliards d’euros en 2012, il est tombé à 3 milliards aujourd’hui. La contrainte de la dette fait son œuvre : la paupérisation et la dégradation du service public de la santé sont en marche.

        Dès 2014, la Cour des comptes, qui pourtant ne cesse de déplorer la faible productivité dans les hôpitaux, s’alarme de la situation financière des établissements hospitaliers : les frais financiers deviennent insupportables, ils représentent 4,1 % de la marge d’exploitation pour une marge totale de 5,1 %. Autant dire que les hôpitaux sont à sec, qu’ils n’ont plus les moyens d’investir, voire de maintenir une activité normale. « Sans l’amélioration de la marge brute des hôpitaux ou sans octroi d’aides financières extratarifaires, le poids actuel de l’endettement mettra […] les hôpitaux dans l’incapacité de financer à l’avenir leurs investissements courants », prévient-elle dans un rapport sur la dette des établissements publics de santé.

        Ni le gouvernement de Jean-Marc Ayrault ni celui de Manuel Valls n’entendent l’avertissement. Pire : ils décident que les hôpitaux, contrairement aux collectivités locales, se débrouilleront tout seuls avec leurs emprunts toxiques. Pour sortir des emprunts les plus risqués et payer les pénalités de remboursement anticipé, la Cour des comptes a pourtant évalué que les hôpitaux devraient dépenser au moins 1,4 milliard d’euros. Autant de ressources financières mobilisées pour les banques et non pour la santé.
        Une restructuration de l’endettement hors de prix et insuffisante
        En 2015, cependant, le gouvernement est forcé d’intervenir, en raison d’un événement qui, normalement, n’aurait jamais dû avoir d’impact sur la gestion hospitalière : la Banque centrale suisse a décidé début janvier 2015 de ne plus soutenir la parité du franc suisse face à l’euro et de laisser sa monnaie s’apprécier. Or, nombre d’hôpitaux ont contracté des emprunts indexés sur le franc suisse et n’ont pu les dénoncer. Leurs frais financiers explosent.

        Dans la précipitation, le gouvernement décide de mettre en place un fonds de soutien pour aider les établissements à sortir de leurs emprunts à risque et restructurer leurs dettes. Mais celui-ci est beaucoup moins généreux que les mécanismes instaurés pour aider les collectivités locales piégées par les emprunts toxiques.
        Le fonds est plafonné à 400 millions d’euros. L’assurance-maladie y contribue à hauteur de 75 millions. La SFIL (Société de financement local), héritière de Dexia, apporte 45 millions. Le reste (280 millions d’euros) est lié à l’instauration d’une taxe bancaire. Mais il est prévu que la charge pour les banques sera étalée dans le temps : elles doivent apporter 28 millions d’euros par an entre 2016 et 2025.

        Ces aides sont consenties sous condition. Comme pour les collectivités locales, les hôpitaux doivent renoncer à toute poursuite judiciaire contre leurs créanciers pour pouvoir en bénéficier. Surtout, seuls les établissements hospitaliers qui ont moins de 100 millions de produit d’exploitation et ceux qui ont des emprunts en francs suisses peuvent en bénéficier. Tous les CHU et les grands établissements hospitaliers en sont exclus, le gouvernement jugeant qu’ils sont capables de se débrouiller par eux-mêmes. Ce qui plombe d’autant leurs comptes.
        Une soixantaine de contrats de prêt hospitaliers ont pu être renégociés grâce à ce mécanisme d’aide. Les chiffres à eux seuls illustrent la nocivité de ces contrats, les pratiques usuraires des banques, la négligence, pour le moins, des autorités de tutelle et les surcoûts indus imposés par les banques aux hôpitaux publics qui ont contribué à la dégradation de leur situation. Les contrats renégociés représentaient un encours total de 299,8 millions d’euros. Cela « a conduit à des indemnités de remboursement anticipé d’un montant de 609,5 millions d’euros, soit plus de deux fois supérieur à cet encours », pointe la Cour des comptes dans son rapport, qui s’indigne du coût élevé de ces renégociations, d’autant que le montant de l’aide était plafonné à 75 % des indemnités de remboursement anticipé. À côté du fonds d’aide, les banques créancières ont accepté de renoncer à une partie de leurs créances. Mais le reste a bien été laissé à la charge des hôpitaux.

        Instituée comme la structure de défaisance de Dexia en faillite, la SFIL a été la première concernée par les prêts toxiques des hôpitaux. Sur un encours total de 6 milliards de prêts aux hôpitaux, ces derniers représentaient 1,25 milliard. La SFIL assure qu’aujourd’hui la quasi-totalité des prêts toxiques a été renégociée. Prenant le relais de Dexia, la structure continue de prêter au secteur public de la santé. Depuis 2013, elle a prêté au total 3,3 milliards d’euros à 280 hôpitaux. Les prêts à taux fixe sont en moyenne de 1,12 % sur dix-neuf ans.
        Les chiffres manquent pour les dettes contractées auprès des autres établissements bancaires. Mais tout indique que la restructuration des dettes contractées par les établissements hospitaliers n’a donc été que partielle et hors de prix.

        La reprise très limitée de la dette hospitalière par l’État n’apporte aucun remède et ne répond pas à l’urgence de la situation. L’effondrement du système de santé que tous constatent nécessite pour y remédier des moyens, une vision, un projet. Le gouvernement préfère rester confiné dans sa politique de contrainte malthusienne, fermer les structures jugées trop coûteuses comme les maternités du Blanc (Indre) ou de Die (Drôme), condamner des services, supprimer des lits, accepter l’arrêt de services d’urgence. S’il n’y avait eu la révolte des soignants et des médecins, il aurait sans doute accepté de privatiser l’hôpital de Longué-Jumelles (Maine-et-Loire). Car c’est bien vers cette solution censée être inéluctable que tend la politique de la santé menée depuis quinze ans.

        Le gouvernement s’en défend, assure qu’il n’a aucune arrière-pensée de la sorte. Toutes ses décisions s’inscrivent, assure-t-il, dans le souci d’économie des derniers publics, de réduction de la dette, de la bonne gestion. Il ne saurait faire mieux. Pourtant, alors qu’il se dit incapable de trouver plus de 200 millions d’euros pour les hôpitaux, il est capable au même moment d’annoncer la création d’un fonds d’investissement de 5 milliards d’euros, en partie financé par la BPI, filiale de la Caisse des dépôts, pour investir dans des entreprises du numérique. Mais il est vrai que ce n’est pas la même chose. Il s’agit de la « start-up nation ».

  2. Et moi qui croyais que les dettes des Etats n’étaient jamais remboursées…. J’avais dans l’idée en effet que seul le refinancement de ces dettes était remboursé…et encore, étant donné que les déficits se creusent un peu partout, c’est à la louche

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