Ce risque que l’on choisi de ne pas voir

Les régulateurs de la finance n’ont qu’à bien se tenir, car les banques et les assureurs-vie haussent la voix à l’occasion de la transposition de Bâle 3 en droit européen pour les premières et en raison des bas taux obligataires pour les seconds. Les deux réclament des aménagements et ont de très bonnes chances d’être entendus.

François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, vient de délivrer un échantillon de son savoir-faire. « Un certain nombre de voix s’élèvent des deux côtés de l’Atlantique, souvent des voix bancaires, pour dire il ne faut pas transposer cet accord » a-t-il faussement déclaré lors de sa dernière intervention, car les banques américaines sont silencieuses à ce sujet et les banques européennes réclament un assouplissement des règles et non un oubli irréaliste. Cela lui a permis dans un second temps de défendre cet accord en le justifiant: « les Américains ont dû reconnaître les modèles internes bancaires qui sont utilisés en Europe et au Japon, et en sens inverse les Européens et les Japonais ont dû reconnaître que ces modèles internes soient un peu mieux encadrés pour être davantage comparables ». Là, il a touché le vif du sujet. Puis, il a montré le bout de son nez en suggérant de « veiller en Europe à ce que nous ayons une transposition raisonnable, équitable », entrebâillant la porte à de futurs aménagements.

Le gouverneur n’ignorait pas que Valdis Dombrovskis, le vice-président de la Commission, étudie un assouplissement de la régulation bancaire, avec comme prétexte d’impulser les investissements verts. En contrepartie du financement de ceux-ci, la charge en capital des banques pourrait être allégée. Andrea Enria, qui dirige la branche de la BCE chargée de la supervision, ne l’a pas entendu comme cela et lui a répliqué que « les exigences en capital doivent être basées sur le niveau de risque et ne peuvent pas être altérées par la poursuite d’autres objectifs ».

Le débat engagé, il y a du grain à moudre. On connaît le caractère fourre-tout du label « vert », ainsi que la complaisance des modèles internes utilisés par les banques pour calculer le risque de leurs actifs. C’est d’ailleurs contre les nouvelles dispositions, qui prévoient un écart maximum de leurs résultats avec celui d’un modèle standard défini par les régulateurs, que les banques se cabrent devant l’obstacle. Forçant le trait, elles annoncent une augmentation de leurs fonds propres de 400 milliards d’euros si rien n’est changé, alors que l’Autorité bancaire européenne (EBA) a estimé ce montant à 93 milliards. Elles font valoir qu’un renforcement de cette ampleur de leurs fonds propres impliquera de diminuer l’enveloppe du crédit aux entreprises et pèsera sur l’économie, la variable d’ajustement ne pouvant être leur rentabilité propre.
Quant à eux, les assureurs-vie français ont pour objectif une révision de Solvabilité 2, l’équivalent pour leur secteur de Bâle 3 pour les banques, afin que ses règles soient appliquées plus souplement. La distorsion de concurrence dont ils font état n’est pas comme dans le cas des banques vis-à-vis de leurs consœurs américaines, mais en leur sein avec les assureurs allemands. Le ministre français Bruno Le Maire a vite fait savoir qu’il n’était pas être insensible à cet argument et trouvait cette préoccupation « légitime ». Mais, là encore, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ne l’entend pas de la même oreille. À suivre avec attention, car un décret très technique est dans les tuyaux de Bercy, qu’il faudra décrypter. Pour mémoire, l’encours des 37 millions de contrats d’assurance-vie est de 1.700 milliards d’euros et le sujet est politiquement très sensible. La bonne santé des assureurs-vie ne se discute pas, même si elle n’est qu’apparente.

Toujours sur ce même chapitre, il est tardivement découvert que les chambres de compensation, dont la création visait la sécurisation des transactions financières des produits à risque, sont devenues des concentrés de celui-ci. De véritables bombes à retardement, si l’on n’y prend garde. L’obligation de les utiliser a été étendue, avec comme résultat de les rendre « too big to fail ». En tirant les conséquences, la présidence finlandaise de l’Union européenne s’apprête à imposer le renforcement de leurs fonds propres, car l’activation du collatéral qui garantissent les transactions qu’elles compensent – en se plaçant entre le vendeur et l’acheteur – pourrait ne pas suffire à éponger les pertes et imposer de les combler en capital.
C’est partout la même chanson, les fonds propres sont en dernière instance une garantie afin d’amortir un risque dont le calcul est imprécis quand il n’est pas complaisant. Mais ils coûtent cher et leur immobilisation pèse sur la rentabilité ! Alors tout est fait pour les augmenter le moins possible.

Pour faire le tour de la question, ce n’est pas tout. La régulation des banques, des assureurs-vie et des chambres de compensation ignore ces nouveaux géants de la finance que sont les grands fonds d’investissement. Ceux-ci, qui ont pour nom BlackRock, Blackstone ou Fidelity, ont supplanté les grandes banques d’investissement sans être régulés. Il peut être prétendu que le risque est sous contrôle chez Goldman Sachs ou Merrill Lynch, mais il n’est tout simplement pas mesuré chez ces nouveaux venus dont la taille du bilan est démesurée.

De temps à autre, la « banque de l’ombre » se rappelle à notre bon souvenir sans que rien ne soit toujours entrepris. Mais l’ignorance n’est pas un argument, comme chacun sait.

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