La BCE confortée à tort dans son rôle de dernier recours

À force de rétention budgétaire en Europe et d’un endettement mondial qui ne cesse d’enfler, la politique monétaire va-t-elle se révéler être le seul recours, prenant à rebrousse-poil l’obligation communément admise de sa stricte séparation d’avec la politique budgétaire ?

L’urgence est décidément un puissant levier – et semble-t-il le seul – quand ce qui est de longue date établi n’a plus lieu d’être et que nécessité fait loi. En l’occurrence, celle de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre contre lesquelles l’essentiel reste à faire dans des délais qui se raccourcissent. Et la pureté doctrinale de Jens Weidmann, le président de la Bundesbank et opposant attitré à la politique « accommodante » de Mario Draghi à la BCE, ne va pas peser lourd dans la balance.

Les mesures de la BCE sont réputées être neutres sur le marché, afin de ne pas empiéter sur ce qui relève de l’action gouvernementale. Cette fiction est destinée à justifier la stricte séparation des pouvoirs et des prérogatives de l’une avec l’autre. Mais de fait ce principe de neutralité n’est pas respecté. La banque centrale biaise en achetant les titres obligataires les mieux notés, ce qui revient à privilégier des entreprises dont l’activité est fortement émettrice de carbone. En ces temps d’obligations vertes et de lutte contre le réchauffement climatique, est-ce bien raisonnable ? Si « l’urgence climatique » est proclamée par le Parlement européen, comme proposé par des députés, est-ce tenable ?

Le débat engagé à propos de l’implication de la BCE dans cette lutte se poursuit, sans attendre l’ouverture officielle de l’examen de ses missions, confirmée « prochaine » par Christine Lagarde. Elle y est encouragée par une lettre ouverte signée par des économistes comme Adair Turner et des ONG, la priant de placer « la protection de l’environnement au cœur de la conception de sa mission ».

Où peut conduire la confusion des genres redoutée par les gardiens du Temple qui est dans les tuyaux ? Pour commencer, la sacro-sainte indépendance de la BCE a du plomb dans l’aile. Celle-ci n’est-elle pas promise à s’engager plus avant, une fois sauté le verrou de la séparation des actions dans le contexte économique et social actuel ? Opportunément, Jean Pisani-Ferry et Olivier Blanchard, de l’Institut Peterson, expliquent dans un savant article pourquoi la zone euro n’est pas prête à « l’hélicoptère monnaie », ajoutant dans le titre de leur contribution « pas encore »… La distribution par la BCE d’une somme d’argent aux particuliers reste toutefois sur le tapis.

Cela serait bien dans la logique de la fuite en avant actuelle que d’en poursuivre une autre ! Et ce n’est pas au nom de la pureté doctrinale monétariste que cela est critiquable, ne serait-ce que parce qu’elle a de toute façon fait son temps. Paradoxalement, l’élargissement de la mission de la BCE justifie le maintien de la rétention budgétaire. Et, telle qu’elle se présente, l’élargissement de la mission attribuée à la politique monétaire représente avant tout une échappatoire; elle évite d’identifier comme telle la destructrice allocation du capital engendrée par le capitalisme et d’y remédier.

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