La fragilité du dialogue engagé en Algérie

À quel jeu joue Abdelkader Bensalah, qui a perdu son mandat de président par intérim de l’Algérie le 9 juillet dernier ? Il est passé à l’acte après avoir lancé, juste avant cette échéance, l’idée d’un dialogue écartant les représentants de l’État et de l’armée. L’intention est de mettre au point dans ce cadre les modalités de la future élection présidentielle, cet objectif que les représentants du système cherchent à tout prix à concrétiser, sans y parvenir, afin de couper court à d’autres intentions comme la réunion d’une assemblée constituante.

L’avenir de ce qui a été présenté comme un pas en direction des milieux de l’opposition politique, qui est vite apparu comme une opération jouant sur la confusion, est plein d’incertitudes. Le rejet que lui ont réservé les manifestants de vendredi dernier, ainsi que les commentaires sur les réseaux sociaux, sont quant à eux sans équivoques.

Un panel de six personnalités présentées comme indépendantes a été constitué sous les auspices d’Abdelkader Bensalah, dont Karim Younes, l’ex-président de l’Assemblée populaire nationale et ancien ministre d’Abdelaziz Bouteflika qui en a été nommé le coordinateur. Vendredi dernier, son nom a été longuement hué par les manifestants. La composition du panel, comme la méthode utilisée pour le réunir, sont loin d’avoir été exemplaires et ont accrédité l’idée d’une manipulation.

Une rencontre a eu lieu avec Abdelkader Bensalah. Afin de crédibiliser leur démarche et d’assoir leur indépendance, ses membres l’ont consacré à l’énoncé de conditions préalables au démarrage de leurs travaux. Réclamant la libération des manifestants emprisonnés et des détenus politiques, l’ouverture des médias à l’expression de toutes les opinions, la fin des mobilisations policières durant les manifestations et des entraves à rejoindre Alger, ainsi que le départ du gouvernement. Sauf sur cette dernière revendication, Abdelkader Bensalah se serait engagé à intervenir dans le sens demandé.

À ce jour, cela n’a reçu qu’un commencement d’exécution très limité, malgré un communiqué de la présidence de la République qui en reprenait les conditions préalables. Ce qui avait conduit Karim Younes, qui l’anticipait dès hier dimanche, à mettre en garde à propos de la poursuite de la mission du panel si rien de tangible n’intervenait dès cette semaine. Ce n’est qu’une première passe d’armes destinée à mieux mesurer les intentions effectives du représentant du système, étant donné les eaux troubles dans lequel le processus a été engagé. D’autres sont à prévoir avec un pouvoir particulièrement retors.

Il n’a donc pour l’instant été enregistré que la libération de deux manifestants qui ont cependant été condamnés à des peines avec sursis pour avoir brandi le drapeau amazigh (des berbères). De son coté, enregistrant les réactions négatives, le panel s’est joint un septième membre, un jeune manifestant du hirak (le mouvement), et a appelé les membres d’une liste de vingt-trois personnalités qu’ils ont dressée à le rejoindre. Il peut être présumé de celles-ci qu’elles attendent une clarification de la situation.

Un plan de travail a été ébauché, s’appuyant sur de larges consultations qui devraient se terminer par une « conférence nationale souveraine » dont les décisions « seront opposables à toutes les autorités publiques », où seront invités tous ceux qui auront été consultés. À charge pour la présidence de l’État de les concrétiser par des lois.

Au terme de ce programme chargé, le panel élargi devra produire une synthèse dont le contenu apparaît aujourd’hui fort lointain. Vaille que vaille, un second dialogue pourrait s’engager de manière tortueuse dans les coulisses, l’armée veillant aux dérapages, soucieuse que l’issue du processus lui procure des garanties. Mais c’est à elle d’en fournir sans attendre, sans procéder au compte-gouttes. Ce démarrage est marqué par une grande fragilité.

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