Derrière les nouvelles idées reçues

L’idée que les taux obligataires bas sont durables s’est installée sans plus de réflexion, comme bien d’autres nouveautés. Bizarrement, elle coexiste avec la vieille frayeur de l’hyperinflation, ne voulant pas voir que l’inflation n’a pas disparue mais qu’elle s’est déportée sur le prix des actifs financiers.

Ce comportement du marché obligataire est pourtant remarquable, allant à l’encontre des idées reçues de la politique budgétaire de la zone euro qui stipule que les ratios d’endettement sont trop élevés et que l’endettement doit être réduit. Les taux devraient monter quand ce n’est pas le cas, mais on ne l’observe pas, tout au contraire. Quelle en est donc la raison ?

Les faits sont là. Tous les rendements de la zone euro sont en baisse, même ceux de la Grèce n’y échappent pas. Et celui des obligations italiennes chute, le spread (l’écart) avec le Bund allemand (le taux à 10 ans) étant inférieur à 200 points. Pour ne pas parler des rendements négatifs de ces derniers, ainsi que des titres français. Nous sommes devant une indéniable tendance de fond.

Les marchés, entend-on comme explication, réagissent aux propos de Mario Draghi et, depuis peu, à la nomination de Christine Lagarde appelée à lui succéder. Ils s’attendent dans un proche avenir à une réduction du taux de la BCE et au redémarrage de ses achats d’actifs. Mais ce ne sont pas et de loin les uniques raisons.

Le rendement du Bund allemand est désormais inférieur au taux de la facilité de dépôt de la BCE, rendant illogique d’acheter des obligations allemandes pour, par exemple, garantir les emprunts qui seront effectués dans le cadre de son programme LTRO 3, donné pour commencer en septembre prochain. Et si les acheteurs de titres allemands pensent que quelqu’un d’autre leur achètera leurs obligations à des rendements encore plus bas à l’avenir, ils doivent certes supposer que la BCE relancera bientôt une nouvelle vague d’achats de titres obligataires.

Mais ce n’est pas la principale raison ! Les obligations à taux négatifs sont achetées en raison de leur liquidité et de leur haute qualité présumée, toutes deux recherchées sur les marchés monétaires où elles sont utilisées comme collatéral, comme garanties données par les établissements financiers à leurs prêteurs. On retrouve la problématique du besoin grandissant de collatéral qui résulte de l’accroissement des transactions, lui-même conséquence de la taille grandissante de la sphère financière et de la masse des actifs qu’elle représente. Les rendements sont très bas, sans rapport avec le risque dans le cas des pays les plus endettés dont la soutenabilité de la dette est en question, comme l’Italie, la Grèce et le Portugal. Dans ce cas l’argument qu’il en est ainsi en raison du refuge que leur détention représente n’épuise pas le sujet, il faut chercher ailleurs, du côté de la pénurie de collatéral. Avec ce paradoxe que les titres de pays très endettés sont utilisés pour garantir des transactions, mais qui peut être levé si l’on saisi que celles-ci sont encore plus risquées ! Le collatéral en question n’annule pas le risque, il l’amoindrit dans l’esprit d’investisseurs n’ayant pas d’autre option.

Dans ces conditions, on comprend le tabou attaché à la restructuration de la dette publique, la privée étant superbement ignorée sauf chez ceux, dans des cercles trop réservés, qui alertent sur sa taille grandissante. Pas question de restructurer une dette utilisée pour étayer le système financier qui pourrait s’en écrouler ! Telle est la logique du besoin accru de collatéral et du poids grandissant de l’univers complexe représenté par les transactions financières, leurs garanties et les contreparties croisées qui les accompagnent. Elle exprime une totale fuite en avant et accroit la fragilité de tout l’édifice.

La masse des liquidités qui résulte des injections massives des banques centrales sur un marché sans frontières est à l’origine d’un problème grandissant pour les investisseurs : où placer tout cet argent ? Il y a des limites à ce que le marché des actions, gonflé outre mesure, peut absorber et ils ne voient pas où ils pourraient investir ailleurs que dans des actifs financiers. Tandis que l’investissement public est en Europe proscrit dans les faits en raison d’une politique budgétaire restrictive dont on ne voit pas la fin. Tout s’enchaîne, les rendements obligataires continuent de baisser dans ces conditions, et les anticipations d’inflation en font autant, incitant la BCE à envisager un nouveau programme d’assouplissement monétaire qui pèsera à son tour sur les taux obligataires. Voilà le mécanisme de base du capitalisme assisté dans l’ère duquel nous sommes entrés, un véritable cercle vicieux !

Afin de le briser, il faudrait pouvoir répondre aux énormes besoins européens d’infrastructures, ceux qui sont par exemple découverts en Allemagne, accroître les revenus des salariés et imposer les transactions financières. Et encore mieux interdire les instruments spéculatifs. La transition énergétique en offre la plus impérieuse opportunité, mais celle-ci, qui commence à faire débat, est loin d’être concrétisée. Et la réorientation des achats de la BCE afin qu’elle la finance par la création monétaire, qui représenterait un succédané, n’est pas plus proche d’aboutir.

 

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