Le pragmatisme des banquiers centraux

La BCE ne dévoile pas encore ses batteries depuis l’annonce par Mario Draghi, prochainement sur le départ, que les achats d’obligations pourraient reprendre si l’inflation ne repartait pas. Selon son économiste en chef Philip Lane, « ses dirigeants doivent aussi être ouverts à de nouvelles idées et de nouvelles méthodes » bien qu’ils disposent de marge de manœuvre pour engager un nouvel assouplissement monétaire afin d’accomplir son mandat.

Nous n’en saurons pas plus dans l’immédiat, si ce n’est que « la BCE doit toujours être ouverte à de nouvelles idées et de nouvelles méthodes tirées de la recherche interne et externe et d’exemples de meilleures pratiques venues du monde entier ». De fait, une réflexion portant sur l’élargissement de sa mission est engagée et les idées fusent sans être concrétisées.

Confirmant que la BCE ne va pas rester inactive et reprendre une mission d’assistance qui ne souffre pas d’être interrompue, le président de la banque centrale finlandaise Olli Rehn ne va pas si loin, envisageant « l’ajustement de manière appropriée » des instruments existants. Sans doute fait-il allusion aux discussions internes qui portent sur la levée de la limitation à 33% du volume total des acquisitions des émissions d’obligations souveraines d’un pays. En raison des dispositions des clauses d’action collective, dépasser ce seuil mettrait en effet la BCE – qui a déjà acquis près de 2.000 milliards d’euros de dettes d’État et en possède près de 33% dans le cas du Portugal et des Pays-Bas – en position d’influer sur la restructuration de la dette d’un pays, ce qui reviendrait à ce qu’elle finance son déficit ou qu’elle fasse obstacle à celle-ci.

Les clauses d’actions collectives destinées à restructurer la dette d’un emprunteur prévoient en effet que certaines décisions doivent être prises à la majorité des deux tiers des créanciers. Possédant plus d’un tiers d’une créance et la BCE ne prenant pas part au vote, la décision serait donc rejetée. Comment l’éviter ? Les juristes de la banque centrale, qui ne sont pas en mal de créativité, s’appuieraient sur une clause dite de « privation de droits de vote » qui prévoit que lorsqu’un porteur d’obligations est directement lié à l’émetteur, il ne peut prendre part au vote ! L’obstacle à la reprise des achats serait ainsi levé.

Autre novation, Olli Rehn a ajouté que l’inflation pourrait osciller à court terme autour de l’objectif de la BCE. Avant lui, Mario Draghi avait déclaré que la BCE pourrait laisser l’inflation dépasser l’objectif après lui être restée longtemps nettement inférieure. Prudemment, les responsables de la BCE envisagent un dépassement de l’objectif traditionnel d’inflation de 2% par valeur inférieure, comme l’ancien économiste en chef Olivier Blanchard du FMI l’avait proposé avec insistance.

Les audaces d’Olli Rehn sont toutefois limitées, qui s’en tient à une explication conventionnelle de la faiblesse de l’inflation. Pèserait « un nouvel environnement dans lequel des tendances de long terme comme le vieillissement de la population, la baisse des taux d’intérêt à long terme et le changement climatique sont devenus des questions clés ». Son analyse de la nouvelle période dans laquelle le capitalisme est entré ne va pas plus loin.

Le pragmatisme forcé des banquiers centraux n’a pas fini de produire ses effets. Une voix iconoclaste se fait déjà entendre qui met en cause leur indépendance. C’est au Portugal où un honorable membre de l’Inspection des finances met les pieds dans le plat et suscite une discussion à propos de l’obligation pour la banque centrale nationale de rendre des comptes au gouvernement.

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