Les dirigeants européens se sont pris à leur propre piège pour avoir dénoncé une invasion de réfugiés. En mobilisant la peur, ils ont alimenté le rejet. Dans l’opinion, l’assimilation s’est faite entre un terrorisme se revendiquant de l’Islam et une vague de déshérités, au départ syriens, fuyant la guerre et venant chercher un refuge. Aujourd’hui divisés, ces mêmes dirigeants se révèlent incapables de formuler un dispositif succédant à des accords de Dublin n’ayant pas résisté à l’épreuve du feu.
Les principales voies d’accès turques et libyennes ayant été non sans peine barrées, seuls une centaine de milliers de réfugiés sont depuis parvenus à rejoindre l’Europe tous les ans, selon les chiffres du HCR. La Grèce et l’Italie ont cessé d’être les principaux points d’entrée en Europe au profit de l’Espagne, enregistrant depuis janvier dernier respectivement 27.700, 22.160 et 49.000 arrivées. Sans que cela ne se traduise par un affaiblissement de la tension et de la xénophobie. Plus de 2.000 noyades ont été dénombrées.
La détermination dont font preuve les candidats à l’asile, ainsi que les épreuves invraisemblables qu’ils traversent, illustrent la pression exercée par ces familles entières qui n’ont plus rien à perdre. Après avoir payé à l’Est un régime autocratique pour qu’il boucle sa frontière maritime, les autorités européennes en ont fait de même en arrosant de nébuleuses factions armées libyennes pour en faire leurs supplétifs. Dans les deux cas, les réfugiés sont livrés à eux-mêmes, à moins de subir des traitements dégradants qu’ils fuient. Le dernier épisode, tout aussi déshonorant que les précédents pour les autorités européennes qui en portent la responsabilité, a consisté à empêcher les ONG de mener leurs opérations de sauvetage des naufragés dans les eaux internationales.
Les autorités européennes sont aujourd’hui en mal d’une politique. Il ne suffit pas d’empêcher l’arrivée massive de nouveaux réfugiés, et de fermer les yeux sur leur sort misérable lorsqu’ils y parviennent, mais d’accueillir correctement ceux qui sont malgré tout parvenus à accéder au sol européen en leur assurant les moyens de leur intégration. Alors que les autorités se défaussent sur la solidarité agissante de la société civile, cet ultime filet de sécurité, dont elles traînent les activistes devant les tribunaux.
La comparaison s’impose avec une autre politique qui a tout aussi bien failli, mais dont ces mêmes autorités ne parviennent pas non plus à se dégager. Les règles de la politique économique et financière qu’ils prétendent intouchables sont de même nature que la réglementation de Dublin : inopérantes, elles n’en restent pas moins la norme !
Une réflexion d’envergure fait défaut. En définissant pour commencer les situations de détresse qui devraient activer le droit d’asile. Il est pourtant clair que celles-ci se sont considérablement élargies depuis le temps lointain où ce droit a été codifié. Sa version moderne date de la Convention de Genève de 1951, au sortir de la seconde guerre mondiale, et beaucoup d’eau a coulé depuis sous les ponts. De nouvelles raisons de l’octroyer sont apparues, découlant de l’existence de régions et de pays entiers inhospitaliers et impropres à toute vie humaine décente. Délimiter une frontière entre les causes de l’immigration, économique ou pas, est une facilité qui s’avère de moins en moins en phase avec les contraintes de notre époque.
Devant l’ampleur du problème, on conçoit qu’il ne suffit pas d’ouvrir les frontières mais qu’il faut mener en grand des actions d’aide effective au développement – à condition de ne pas épuiser l’aide financière avec le financement de mesures policières – et de rompre avec les pratiques d’une mondialisation opportunément mise en cause. Il est illusoire de fixer des populations entières, ou de tenter de les renvoyer de là où elles viennent, là où les conditions d’une vie décente ne sont pas réunies. Les caravanes d’Honduriens qui ont repris leur marche vers la frontière américaine après avoir reconstitué leurs forces à Mexico City expriment une impressionnante détermination qui n’a pas d’autre origine. Pour leurs participants, il n’y a pas d’autres choix lorsqu’ils en débattent.
Que ce soit entre régions du monde ou à l’intérieur des pays, l’accroissement des inégalités devient résolument insupportable. Christine Lagarde parle d’aider « les perdants de la mondialisation », afin de rendre celle-ci « acceptable ». Le FMI pourrait selon elle aider ces populations en accordant plus d’attention aux « inégalités excessives, à la place des femmes, aux changement climatique ou la corruption », et en s’assurant de « la solidité des filets de sécurité sociaux ».
Que ne faut-il pas entendre !
> il faut mener en grand des actions d’aide effective au développement
Bonjour M.Leclerc,
autant vous dire que ce n’est pas gagné ! Pour avoir travaillé presque 30 ans dans le secteur de l’aide au développement, la mentalité d’épicier ( la gouvernance par les nombres) a supplanté les politiques et les compétences techniques ont disparu, étouffées ou dégoûtées. Les budgets ne sont plus totalement exécutés … et les reliquats sont réaffectés à la répression des migrations ou à l’accueil des migrants.
FMI et autres imposent leurs politiques économiques désastreuses, parfois en les expérimentant sur de petits pays. Il ne faut rien en attendre de bon, ce sont les mêmes personnes et les mêmes idées qui organisent l’accroissement des inégalités.
Bien sincèrement,
Luc
» inopérantes, elles n’en restent pas moins la norme ! »
C’est exactement la réalité.
L’Europe (Bruxelles) a certainement un problème d’institutions, mais en plus les hommes et femmes à leurs têtes ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités.
Pour paraphraser notre hôte: Tout cela va mal finir.
En ce jour de centenaire, rien de neuf sous le soleil (hélas!)
« Hantés par leurs songes et aveugles à la réalité des horreurs qu’ils allaient déclencher, ils marchèrent vers le danger tels des somnambules. »
Christopher Clark
Appel à ceux qui éventuellement sauraient : quelles sont les propositions concrètes de Mme Lagarde (et son armée de fonctionnaires du FMI) pour lutter contre les inégalités, pour l’égalité femmes-hommes, contre le changement climatique et contre la corruption ? Ou s’agit-il seulement d’une posture de salon, pour agrémenter quelques pages en papier glacé de Paris-Match, et se rendre plus « acceptable » aux peuples ?
Un indice:
https://blogs.alternatives-economiques.fr/chavagneux/2011/05/26/christine-lagarde-est-elle-bonne-en-economie