Certes encore faibles, les signaux de la crise monétaire à venir se perçoivent. Il faut la retenue et la poursuite d’une politique s’inscrivant dans le long terme des dirigeants chinois pour qu’elle ne s’accélère pas à la faveur de la guerre commerciale actuelle.
Nous en sommes pour le moment restés au stade des accusations de dépréciation compétitive du yuan de Donald Trump visant les autorités chinoises, qui s’en défendent. Un grand classique qui méconnait les causes réelles des succès à l’exportation de l’industrie chinoise. L’Europe pénètre à son tour sur le terrain, Jean-Claude Juncker dans son dernier discours annuel sur l’état de l’Union a proposé de « renforcer le rôle international » de l’euro en faisant valoir qu’il est absurde de payer en dollars des avions européens, sans toutefois aller plus loin.
Les secousses affectant les pays émergents contribuent à l’instabilité monétaire. Le retour massif des capitaux vers le marché financier américain et la hausse des taux obligataires mettent à leur manière en évidence le caractère néfaste du dollar comme monnaie référence du système monétaire international qui s’affirme. Tandis que, lentement mais surement, la Chine fait progresser l’utilisation du yuan dans ses transactions commerciales avec les pays émergents.
Une autre partie qui escamote l’utilisation du dollar se joue actuellement en Europe, suite de la dénonciation par Donald Trump de l’accord nucléaire de 2015 avec l’Iran dont les Européens défendent le maintien. Une nouvelle vague de sanctions allant jusqu’à bloquer les opérations avec les banques iraniennes est prévue pour le 4 novembre prochain, et les autorités européennes entendent prévenir une reprise du programme nucléaire iranien, enrayer la course à l’arme atomique dans la région et sauver le président Hassan Rohani qui n’a pas engrangé les bénéfices économiques de sa politique et pourrait chuter au profit d’éléments radicaux.
Un système de troc a été présenté lundi soir dernier par Federica Mogherini, en charge de la diplomatie de l’Union européenne, lors de la lecture d’une déclaration conjointe avec le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif. Les représentants des six pays signataires encore membres de l’accord – Allemagne, Chine, France, Grande-Bretagne, Russie, et Iran – étaient présents à cette réunion organisée en marge de l’Assemblée générale annuelle des Nations unies où Donald Trump va chercher à enrôler dans sa croisade.
« Ce système, a-t-elle déclaré, permettra aux compagnies européennes de continuer à commercer avec l’Iran conformément au droit européen et pourrait être ouvert à d’autres partenaires dans le monde ». On pense à des pays asiatiques acheteurs du pétrole iranien. Il fonctionnera comme une bourse d’échange et de troc. Une sorte de chambre de compensation vérifiera que la valeur des biens exportés et importés par l’Iran sont compensés, le simple troc n’utilisant ni le dollar, ni même une transaction pour ne pas s’exposer à des sanctions américaines.
Certes, les grandes entreprises ayant un important flux d’affaires avec les États-Unis ne s’y risqueront pas, car elles sont directement exposées à des mesures de rétorsion ; mais cela ne concernera pas les entreprises moyennes qui ne sont pas dans ce cas.
Jusque-là sur la défensive, les dirigeants européens entendent marquer un point et ne pas se satisfaire d’une situation les laissant totalement démunis, soumis au bon vouloir de Donald Trump. Si celui-ci croise le fer actuellement avec la Chine, il a déjà annoncé que le tour du Japon va venir tandis celui de l’Europe va revenir.
Les autorités européennes espèrent que l’opposition interne grandissante à la guerre commerciale menée par Donald Trump va tempérer ses ardeurs, en raison notamment de la hausse des prix des produits américains sur le marché intérieur qu’elle suscite. Car ceux-ci incorporent dans leur fabrication des matières premières ou des composants industriels chinois. Sous le règne de la mondialisation triomphante des chaines d’approvisionnement ont été créées auxquelles des substitutions ne peuvent pas être trouvées si facilement.
Partant des problèmes posés par les déséquilibres prononcés du commerce international, le président américain n’a pas choisi la bonne méthode pour y répondre en érigeant des barrières douanières. Les tendances au repli protectionniste qui se manifestent un peu partout n’aboutissent pas à la conception d’une autre mondialisation qui serait pourtant nécessaire. La mise en œuvre de la solution monétaire envisagée par Keynes sous le nom de Bancor y trouverait sa place. Une toute autre politique de développement devrait être imaginée, avec objectif non plus la croissance pour la croissance mais la satisfaction prioritaire des besoins humains et la préservation de notre environnement. Les grandes migrations qui s’annoncent y trouveraient leur compte.
On en est pas là.