Les élections européennes vont se tenir dans neuf mois et ne vont pas être une simple formalité. À force de chamboulements dans la vie politique des pays membres de l’Union, nul ne peut prédire ce que sera la géographie politique du prochain Parlement. Une seule certitude prévaut, ce ne seront plus les deux grandes coalitions des conservateurs et des socialistes qui en domineront les activités.
Le processus de démantèlement progressif de l’Europe va trouver dans ces élections une excellente occasion de s’exprimer. Le courant nationaliste et xénophobe, que les dirigeants européens incapables de formuler une réponse à l’exode des réfugiés ont alimenté, va tenir le devant de la scène de la campagne électorale. Qui aurait pu penser, il y encore un an, que c’est sur ce thème et non sur celui de la relance de l’Europe que les partis allaient s’affronter ?
C’est le prix à payer pour l’application de la politique budgétaire d’austérité qui a été imposée et de réformes ultra-libérales présentées comme indiscutables. La crise financière s’est alors majoritairement traduite par la déconfiture de la social-démocratie et le renforcement de l’extrême-droite. Savamment attisée, la peur l’a emporté. Il fallait un bouc émissaire, ce furent d’abord les banques, auxquels les réfugiés ont ensuite succédé. Le système était ainsi hors de portée.
En attendant que le processus électoral s’engage, les autorités européennes sont déjà à la manœuvre, discrètement, sur le terrain qui leur importe le plus, le partage des postes-clés à pourvoir. C’est en premier lieu le cas de la présidence de la Commission et de la BCE, les deux plus déterminants d’entre eux.
Le moteur franco-allemand, tant de fois sollicité, ne fait plus recette sauf comme une figure imposée devant les caméras. Angela Merkel est devenue la concurrente d’Emmanuel Macron, au corps défendant de ce dernier. La chancelière a stoppé net son plan de relance européen et l’a ramené sur terre, condamnant à gérer l’Union à la qui mieux mieux au centre de contradictions internes grandissantes.
Sous sa forme négociée ou non, le départ du Royaume-Uni va déjà être un grand pas en arrière. Voué à être permanent, le harcèlement engagé par le gouvernement italien est destiné à rester constant, un dérapage ne pouvant être exclu en raison de sa dynamique. Tout cela sur fond de faible croissance et d’un important chômage, un mauvais terreau comme on le constate. Aucune vision construite alternative n’apparaissant, le rejet de l’existant seul prévalant, peut-on s’étonner que l’extrême-droite sorte grande victorieuse de la bataille au titre de meilleur populiste ?
Emmanuel Macron tente de tirer son épingle du jeu en jouant les chevaliers blancs. Ne pouvant plus prétendre à la relance de l’Union, il se présente désormais comme un recours face à la montée du nationalisme et de la xénophobie, ainsi que le défenseur des « valeurs historiques » de l’Europe dont il se revendique tout en les illustrant si mal. En entrant dans la mêlée à l’occasion des élections européennes pour brouiller les cartes, il tente de rééditer le coup qui lui a si bien réussi en France, car il va se retrouver démuni s’il n’y parvient pas.
Une fenêtre d’opportunité était recherchée par Donald Tusk, le président du Conseil, pour avancer sur les réformes européennes, toujours abordées selon le même pêché mignon de leur angle institutionnel. Le dernier sommet de juin dernier a fermé la première qui se présentait sans autre résultat que de lister les réformes les plus susceptibles d’avancer afin de s’y consacrer. À l’occasion de la rentrée, et d’une saison qui s’annonce fort chargée, les ministres des finances se réuniront à Vienne cette semaine pour plancher sur le MES, cet instrument destiné à financer le prochain coup de tabac à condition qu’il soit suffisamment dimensionné. Mais les derniers mètres sont les plus difficiles à parcourir.
Que va-t-il advenir de tout ce tohu-bohu ? Le rôle du Parlement européen n’en sortira pas grandi. La BCE ne va plus jouer celui de stabilisateur qui a été le sien, se contentant de veiller au grain mais ne pouvant pas tout faire, comme maintes fois ses responsables l’ont répété. La relance de l’Europe n’est pas sur ses tablettes par définition. Reste la Commission, qui concentre beaucoup de pouvoir et qui a été bridée dans la dernière période par le Conseil européen au profit des chefs d’État et de gouvernement qui voulaient reprendre la main. Des rumeurs insistantes accordent à Angela Merkel de s’intéresser en priorité à la nomination de son président, ce qui inquiète ceux qui observent la concentration des pouvoirs entre les mains allemandes déjà réalisée. La confrontation avec Donald Trump implique en effet de contrôler la Commission.
Emmanuel Macron est isolé, n’étant pas parvenu à déborder le gouvernement allemand, ne disposant comme force que celle des mots et ne pouvant se résoudre à l’affronter ouvertement. Trop sûr de lui, trop naïf. Les autorités allemandes défendent la vision commerçante de l’Europe qui leur convient et en viennent à s’interroger sur la constitution d’un système bancaire lui répondant. Sur fond de déconfiture de la Deutsche Bank et de la Commerzbank, pour s’en tenir qu’à ces deux cas emblématiques.
Le ministre allemand des Finances Olaf Scholz regrette que les banques allemandes n’aient pas « la taille et la globalité nécessaires pour soutenir l’économie ». Pour mémoire, le secteur des dix banques régionales publiques (Landesbanken), qui ont été dégradées en 2011 par Moody’s, a été à la demande de la Bundesbank préservé de la supervision exercée par la BCE.
Difficile de ne pas penser que l’Allemagne (enfin, le gouvernement allemand) porte une lourde responsabilité dans la déconfiture de l’Europe. Il en va d’une sorte de surpoids allemand, qui entraîne les autres pays de l’Europe dans un sens qui ne leur convient pas. Et dans un même mouvement elle entraîne tout le monde dans la chute, malgré une France accrochée à elle, comme voulant rétablir une sorte d’équilibre, mais en fait accompagnant le mouvement de la chute. Si l’image est bonne, l’urgence aujourd’hui serait dorénavant d’anticiper cette chute….On pourra se lamenter de l’incurie ou du manque de clairvoyance du personnel politique ; ou alors apposer une sorte de fatalisme de l’histoire….
Ps : je note dans le billet peut être une petite imprécision: il y a un an avait déjà eu lieu le vote du Brexit et il y a deux ans un certain Varoufakis q
s’était déjà mis à clamer que si l’Europe ne se démocratisait pas, elle se désintégrerai….ici comme ailleurs, il semblerait que l’espèce humaine collectivement soit caractérisée par une sorte de cécité….
Tout comme l’Union Européenne, donc, Emmanuel Macron est aussi à la peine.
Le 8 mai 2016 à Orléans, notre futur « petit roi », aujourd’hui moqué de tous, ou presque, rendait un vibrant hommage à Jeanne d’Arc. C’était 6 mois avant sa déclaration à la présidence de la République, mais tout le monde sentait déjà qu’il cherchait à gagner en légitimité – au grand dam des socialistes – pour prétendre à devenir le prochain chef de l’État.
Aujourd’hui, je repense à ce discours, et j’imagine Manu, seul en son palais, implorer de l’aide : “ Où es-tu… ma sauveuse ? ”
“La France et l’Europe sont bel et bien aujourd’hui plongés dans l’histoire. Notre temps n’est pas celui de la quiétude et de l’insouciance. Il ne doit pas non plus être celui du cynisme et du défaitisme. Nous devons nous confronter à ces défis, sans rien céder à la peur. Et le faire en sachant qui nous sommes, et d’où nous venons. Car le passé, toujours, brûle notre époque et le présent est gros de ce qui a été. […] Et dans notre passé, il est des traces, vibrantes, qui doivent nous éclairer, nous aider à retrouver le fil de cette histoire millénaire qui tient notre peuple debout.”
Hum ! Entendrait-il des voix ?
De mon point de vue, l’Allemagne est gagnante avec l’Europe, mais sa force lui permettrait d’être gagnante sans l’Europe. Plusieurs pays (Belgique, Pays-bas…) collent leurs décisions économiques à la politique et l’économie allemande (prix et salaires, etc.). Les pays de l’Est Européen sont aussi dans la sphère d’influence allemande. De ce fait l’Allemagne est et restera néolibérale, et ses alliés aussi.
Le Parlement risque bien d’avoir une forte composante extrème-droitière si la question des immigrés polarise effectivement d’autres pays que Italie, Allemagne, Autriche, Hongrie. Ce n’est pas le cas (pas suffisamment) en Espagne, France, Belgique… Mais ce sont les partis social-démocrates qui seront les plus menacés.
Comment imposer à l’agenda électoral la question de l’austérité mortifère et des inégalités scandaleuses, de la fin de la croissance (que ce soit du fait de la robotisation et l’IA selon P Jorion, ou du déclin de l’énergie et son effet sur le PIB, selon Jancovici). Et NON PAS l’alternative au racisme que serait la vieille chanson de l’Europe des valeurs (chrétiennes…) contre l’égoïsme, laquelle risque, hélas, d’être entendue, et de provoquer un mauvais clivage, sans projet autre que « on casse tout » et « on continue sans changement ».
Autre question : dans quel groupe européen se mettront les députés macronistes ? Libéral ?