Les Américains et les Chinois privilégient la paix armée

Partout menée avec brutalité, l’offensive de Donald Trump n’en est pas moins différenciée, comme il a été découvert petit à petit. Menée mondialement, sa guerre commerciale ne suit pas des stratégies identiques suivant les pays et les régions.

Le Canada et le Mexique, concernés par la révision de l’Aléna, ne sont pas menacés de hausses unilatérales des droits de douane, et le calendrier des négociations reste ouvert. L’Europe a obtenu un délai de répit avant que ces hausses n’interviennent, ce qui n’est pas le cas du Japon. Mais la Chine a bénéficié d’un traitement tout à fait particulier, un accord avec elle se découvrant être l’objectif prioritaire du président américain.

Cela n’a pas duré longtemps, les deux premières puissances mondiales se sont vite accordées à penser qu’elles avaient tout à gagner d’un arrêt des hostilités, auquel elles sont parvenues. Ce qui a conduit le ministre français Bruno Le Maire, de rage, à dénoncer un accord réalisé sur le dos des européens. Des délégations au plus haut niveau se sont succédées à Pékin et à Washington, et « un accord cadre » a été trouvé. Selon Steven Mnuchin, il « suspend » toute hausse des tarifs douaniers, ce que le vice-Premier ministre chinois Liu He a ensuite confirmé. Afin de réduire le déficit commercial américain de 200 milliards de dollars, un mécanisme a été privilégié : la Chine va considérablement augmenter ses achats de marchandises américaines et non pas réduire ses exportations.

Une telle issue privilégiant la coopération à la concurrence aura pour conséquence que les deux premières puissances mondiales s’épauleront réciproquement, laissant les autres de côté. Même si d’autres sujets de friction réapparaitront immanquablement, en particulier dans le secteur des nouvelles technologies qui est appelé à faire demain la différence.

Que vont peser les autorités européennes dans ce contexte ? Elles viennent de découvrir, sans vouloir l’admettre, qu’elles sont totalement démunies devant les « secondary sanctions » des lois extraterritoriales américaines. Les plans échafaudés dans l’urgence pour y faire face n’ont pas tenu longtemps. En application de ces lois, les grandes entreprises européennes qui ne respecteraient pas l’interdiction de commercer avec l’Iran se verraient tout simplement interdire l’accès aux banques américaines ainsi qu’aux fonds monétaires, et les investisseurs américains seraient dûment priés de ranger leurs carnets de chèques. Elles n’y survivraient pas. Swift, ainsi que Clearstream et Euroclear, qui assurent les transmissions entre les institutions financières mondiales et constituent l’épine dorsale du système financier, n’échapperaient pas, cela va sans dire, aux « secondary sanctions ».

Il ne reste plus aux autorités européennes, pathétiques à souhait, qu’à prononcer des discours sans effets agrémentés de gesticulations sans portée, dont Emmanuel Macron a clairement délimité les bornes en déclarant « Nous n’allons pas enclencher une guerre stratégico-commerciale avec les États-Unis sur le cas de l’Iran ». Il est depuis fait de l’épilogue de cette confrontation avortée un « test de souveraineté » pour l’Europe, mais ce ne sont pas les recours auprès de l’OMC qui modifieront le rapport de force. Ni la réactivation d’un règlement européen datant de 1996 qui protège les entreprises juridiquement, mais pas financièrement. Les grandes entreprises n’ont pas d’autre ressource que d’obtempérer aux injonctions américaines, Total l’a fait savoir sans détour, il est trop tard pour s’en apercevoir, tout est dit !

En entamant un pas de deux avec la Chine, Donald Trump consacre le triomphe du bilatéralisme et enterre le multilatéralisme que symbolise l’OMC. Si l’heure est à l’expression des rapports de force, la puissance militaire américaine – de loin inégalée – entre nécessairement en ligne de compte, mais c’est la prééminence du dollar qui s’exerce dans toute sa plénitude. Les États-Unis disposent de l’arme absolue en coupant tout accès à leur monnaie en raison de son rôle de tout premier plan dans les transactions commerciales et les opérations de financement. C’est le second pilier sur lequel repose la puissance américaine.

Un petit retour en arrière est à ce stade nécessaire. On connait l’approche toute en souplesse des autorités chinoises afin de promouvoir progressivement le yuan comme monnaie des transactions commerciales et de réserve au plan international. Mais se souvient-on des débats qui, il y a vingt ans, ont opposé les autorités italiennes et françaises aux allemandes ? Ces dernières n’ont pas voulu faire de l’euro un outil politique permettant d’affirmer l’indépendance de l’Union européenne vis à vis du système financier américain. Elles n’avaient que la lutte contre l’inflation et la stabilité des prix dans leur étroit champ de vision, et elles n’entendaient pas froisser les autorités américaines en engageant une compétition monétaire. Leur conception restreinte de l’euro prévalait déjà.

Dans la suite logique des crises qui se sont succédées depuis onze ans – de financière à économique, puis de sociale à politique – il reste un dernier cran à atteindre : la crise monétaire. Mais comme celle-ci sanctionnera la fin de la domination américaine, tout sera fait pour en retarder l’avènement. Ce qui conduit à se poser une question : le pari hasardeux de la relance américaine de Donald Trump va-t-il retarder ou accélérer cette échéance ? Pour que la première option en résulte, Il faudrait que le système financier n’en accapare pas à son profit les effets…

La croissance de la dette américaine est un bon critère à suivre. Quand elle cessera d’être un point d’appui du système financier pour devenir un risque, alors la puissance américaine s’effacera et tout basculera. Dans l’immédiat, les émissions de dette américaines vont devoir trouver de nouveaux preneurs, les surplus commerciaux chinois s’amenuisant.

7 réponses sur “Les Américains et les Chinois privilégient la paix armée”

  1. Je pense que D. Trump en équilibrant sa balance commerciale avec la Chine (notamment) a pour but de réduire la dette souveraine de son pays.
    Sa position vis-à-vis de l’Allemagne relève de la même démarche.

      1. Je ne crois pas

        Le déficit budgétaire ne concerne que les comptes de l’Etat. Ainsi par exemple pour 2017, selon le PLF, les recettes nettes sont de 307,0 mds€ pour des dépenses de 381,7 mds€, sachant que celles-ci se décomposent en dépenses des ministères (234,4 mds), notre participation aux dépenses de l’UE (19,1 mds), le transfert aux collectivités locales (38.4 mds), la charge de la dette (41,8 mds) et la contribution aux CAS pensions (48,0 mds). Ce qui nous donne un déficit budgétaire de 69,3 mds€.

        Quant au déficit de la balance commerciale, il concerne tous les échanges extérieurs des entreprises, des ménages, et de Etat, mais pour le solde il revient à l’Etat d’en disposer (bénéficiaire) ou de s’en acquitter (déficitaire) vis-à-vis de ses partenaires étrangers. C’est pourquoi en cas de déficit chronique, il n’y a que la dette pour s’en acquitter.

        J’espère que ma réponse répond à votre attente.
        Bien à vous.

        Jean Bayard

  2. Réduction de 200 milliards du déficit commercial, c’est considérable et représente 1,2 points de PIB américain. Cela représente aussi 2,5 millions d’emplois directs. Avec les effets multiplicateurs cela devient vraiment important. le prix est évidemment payé par les partenaires chinois qui vont voir leurs exportations diminuer. Avec des effets de second tour au détriment de la Chine puisque les dits partenaires vont se sentir lésés. Mais pouvait-il en être autrement?
    A moins que tout ceci soit irréel, car si le régime chinois est autoritaire il obéit quand même à une logique de marché et il est possible que cet accord soit difficile à mettre en place.
    Toutefois leçon à suivre pour l’Allemagne dont les excédents sont toutes proportions gardées bien supérieurs à ceux de la Chine.
    Autre lesson: la théorie du commerce international en prend un coup lorsque les Etats endormis se réveillent.

  3. Quels sont les produits que la Chine peut aceter aux USA pour réduire le déficit américain? Les USA disposent ils des capacités de production répondant à une éventuelle demande chinoise ?

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