L’incertitude s’installe en Italie

Tous les espoirs qui avaient été placés sur Matteo Renzi et le Parti démocrate se sont évanouis. Il a été longtemps cru par les autorités de Bruxelles qu’il serait en mesure de stabiliser l’Italie au sein de la zone euro, mais il a été rejeté et le Parti démocrate a subi une grande défaite électorale, loin des 40% recueillis lors des élections européennes de 2014 où il a été à son zénith. Désormais, c’est le Mouvement des cinq étoiles (M5S) qui se trouve au centre des jeux politiques, avec toutes les inconnues que cela comporte.

L’espoir s’est reporté sur l’idée que cette dernière formation pourrait être un nouveau Syriza, mais c’est faire abstraction de tout ce qui différencie l’Italie de la Grèce, en premier lieu qu’elle n’est pas dépendante de la Troïka. Une grande majorité des électeurs a voté pour des partis qui ont pris ou prennent toujours leurs distances avec l’euro. Et si cela ne va pas se traduire par une sortie à court terme de la monnaie communautaire, la politique budgétaire qui sera menée risque fort de faire sortir le pays de ses rails budgétaires, quand bien même les programmes électoraux, qui sont faits pour être oubliés, ne seront pas appliqués tels quels.

Les populistes l’ont emporté, mais cette appellation fourre-tout désormais devenue péjorative n’est guère éclairante. Cette étiquette est indistinctement collée à ceux qui ne jouent pas le jeu, qui sont irresponsables et refusent les contraintes européennes en vigueur. C’est précisément ce qui est revendiqué ! Et la réédition du départ forcé de Silvio Berlusconi de 2011 orchestré par Jean-Claude Trichet (à l’époque président de la BCE) n’aurait pas de sens aujourd’hui, faute de disposer des appuis parlementaires à une solution gouvernementale alternative raisonnable… L’épisode Mario Monti n’est pas renouvelable, et d’ailleurs il avait fait chou blanc.

L’Italie a deux énormes points faibles, la dette privée détenue par ses banques sous forme de prêts toxiques et sa dette publique. Si la crise de cette dernière est réactivée, comment les autorités italiennes pourront-elles répliquer ? La BCE pourra monter au créneau afin de concrétiser la promesse de Mario Draghi de « faire tout ce qui sera nécessaire », et tout sera reparti. La dette italienne devenant clairement insoutenable, il ne sera plus possible de nier cette évidence en raison de ses énormes implications. Une mise à plat de la dette dans toute l’Europe s’imposera, la dernière chose qui est souhaitée.

Sous Matteo Renzi, le gouvernement italien n’a cessé d’approuver au niveau communautaire des décisions qui ne lui convenaient pas, espérant trouver des biais pour ne pas avoir à les appliquer. Demain, que va-t-il rester d’autre comme solution pour la majorité actuelle que de plier pour rentrer dans le rang ou de sortir de l’euro ? Cela renverra à la solution d’une monnaie parallèle que Yanis Varoufakis et James Galbraith avaient imaginée pour la Grèce et qu’Alexis Tsipras avait refusée, scellant la fin de leur collaboration…

Tout en excluant une alliance entre eux, la Ligue et le M5S revendiquent un pouvoir dont ils n’ont pas seuls les moyens. Faute d’alliance, reste l’option d’une scission au sein du PD.

13 réponses sur “L’incertitude s’installe en Italie”

  1. J’ai effectivement du mal à croire à une solution de mise au pas comme celle qui fut appliquée à la Grèce en juillet 2015 pour forcer le gouvernement Syriza à rentrer dans le rang et devenir une simple nouvelle mouture de courroie de transmission des instructions de la Troïka.

    Il y a une différence évidente de taille entre les deux pays, d’où un rapport de force différent : si la Grèce était sortie de l’euro, l’Eurozone aurait sans doute tangué mais guère plus. Si l’Italie sort de l’euro, il est assez probable que l’Eurozone cède tout simplement et que la monnaie unique ne puisse être maintenue. On négocie un peu plus facilement et on fait un peu mieux valoir ses intérêts quand on dispose de l’option de faire s’écrouler les colonnes du Temple.

    Il faut encore noter que le commerce extérieur italien est assez largement bénéficiaire https://atlas.media.mit.edu/en/profile/country/ita/ ce qui faciliterait largement le passage à une monnaie nationale si Rome le décidait. Sans doute, ce n’est pas à prévoir dans l’immédiat, mais cela crédibilise l’option dans le cas de l’Italie, donc renforce encore la main de Rome si elle cherche à défendre les intérêts du pays contre la superstructure austéritaire UE.

    Et avec deux partis en tête dont l’un est clairement eurosceptique la Lega et l’autre est au minimum ambigu le M5S, quelles que soient les difficultés à former un gouvernement, il ne pourra que chercher à défendre les intérêts de l’Italie à l’encontre de la politique d’austérité libérale imposée par Bruxelles.

  2. @ François Leclerc,

    Si vous permettez une question qui me taraude depuis longtemps à propos des NPL, que l’on appelle les « prêts non performants », ce qui en langage clair signifie les créances douteuses.

    Savez-vous s’il y a dans ces NPL des créances subprimes ?

    Merci de votre attention.

    1. « Subprime » a un sens général et un sens historique particulier. Particulier dans les pratiques bancaires étasuniennes : le débiteur final, celui qui doit effectivement rembourser le crédit à terme sous-jacent au titre de dette, a une notation de crédit inférieure à la notation minimale exigée par la communauté bancaire pour obtenir un crédit au taux du marché. En termes financiers, la prime de crédit du débiteur final est négative si on lui prête au taux du marché. Le « subprime » est donc aux États-Unis la pratique financière consistant à accorder un prêt à un débiteur insolvable selon la norme du marché mais en dissimulant la prime de crédit négative dans un titre financier synthétique construit pour que le risque de crédit sur le débiteur final ne soit plus visible ni calculable.

      Au sens général, « subprime » signifie que la prime de crédit du débiteur final est négative par rapport aux conditions actuelles du marché : si le débiteur final devait emprunter actuellement tout ce qu’il a déjà emprunté dans le passé et qui est en cours, il ne le pourrait pas sauf à ce que les prêteurs passent immédiatement une provision sur le montant de la perte probable dès l’origine du crédit accordé. Au sens général, tout « non performing loan » est un subprime. L’euro est objectivement en faillite spécialement en Italie parce que si la règle prudentielle bancaire était appliquée d’interdiction d’augmenter les encours de crédit sur les débiteurs insolvables selon les normes du marché, alors il faudrait que la BCE et les banques centrales nationales cesse leurs concours et mettent en faillite les États et les banques.

      Le « krach des subprimes » en 2008 a été déclenché par une décision de la communauté bancaire étasunienne incluant la Réserve Fédérale de ne plus refinancer Lehman Brothers en crédit interbancaire. Lehman avait accumulé trop d’engagements subprimes dans son bilan. La faillite a été prononcée pour permettre aux créanciers les plus puissants de Lehman de se saisir des actifs réels et de laisser le gros des pertes à la myriade des petits créanciers étrangers ou simples déposants directs ou indirects. La mise en faillite de quelques États européens ainsi que de quelques banques est ce que réclament les ordolibéraux européens et des opérateurs financiers globaaux pour prendre le contrôle direct des ressources fiscales et des actifs réels des pays les plus endettés. Autrement dit, généraliser le traitement de prédation financière infligé à la Grèce.

      1. Je ne partage pas tout-à-fait l’analyse que vous faite des « subprimes » et vous propose de vous reporter au lien ci-dessous :

        http://www.bayard-macroeconomie.com/crisesubprimes.html

        J’ai suivi en temps réel pendant plusieurs mois cette affaire. Tel que je l’ai compris, les titres dits « subprimes » sont nés de la titrisation (*) de créances hypothécaires américaines (et aussi canadienne, dans une moindre mesure), lesquelles créances mêlées à d’autres titres ont inondé les marchés boursiers du monde entier.

        (*) titrisation opérée par les géants du marché hypothécaire Freddie Mac et Fannie Mae qui ont été sauvés par la Fed.

        Merci de votre attention

        1. Cher Jean,
          Sur le fond technique, je crois que nos explications sont les mêmes. Dans la forme, vous vous abstenez de juger moralement le fait de prêter à un taux réel au-dessus du marché à un débiteur virtuellement insolvable. Pour ma part, je vois dans l’utilisation financière libérale de la titrisation des subprimes un effort délibéré de faire de l’argent aux dépens des plus faibles et des collectivités publiques.

          1. Cher Pierre,

            Nous sommes bien d’accord sur le fond. Des millions d’Américains se sont retrouvés sans logis et sans job à la suite de cette affaire, mais les banques n’ont pas été épargnées ; c’est l’histoire de l’arroseur arrosé.

  3. Merci Gérard de nous faire découvrir cet homme si intelligent et si sympathique. Des arguments et des propositions hyper-intéressants à rajouter à tous ceux que nous avons déjà pour arriver à une véritable démocratie. Je ne savais pas par exemple le rapport entre « élection, « élus et « élitisme, « élite, etc. Les dires de David Van Reybrouk me confirment, s »il le fallait, dans l »idée vécue que : Être démocrate, véritablement démocrate, ce n »est pas vouloir que les autres pensent comme soi, mais vouloir que les autres pensent, tout simplement, et pensent leurs propres pensées. Et c »est à partir de ces pensées diverses, construites, réellement pensées, quelques fois et peut-être même souvent très contradictoires, que nous pouvons, quand nous ne voulons pas avoir à tout prix raison sur autrui, construire ensemble quelque chose de finalement assez paisible.

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