Billet invité.
Les taux de la dette souveraine vont-ils rester très bas, comme c’est actuellement le cas, ou bien monter quand les banques centrales vont en donner l’exemple, comme la Fed l’a initié ? Dans le doute, ne vaut-il pas mieux prendre ses précautions se demandent les gouvernements ?
Faire défaut sur sa dette revenant à s’exposer à une lourde réaction des marchés financiers, et encaisser le choc de la remontée des taux impliquant une politique d’austérité budgétaire accrue, ceux-ci cherchent à passer entre les gouttes. Afin de ne pas avoir demain à négocier avec leurs créanciers un réaménagement de leur dette portant sur son échelonnement et son taux, ils ont comme solution alternative d’accroître sa maturité moyenne pour profiter des bas taux actuels, ce qui revient au même, quitte à charger un peu plus la barque dans l’immédiat.
Les annonces et les émissions de dette à cent ans se multiplient ces derniers temps, des maturités à trente ou même cinquante ans étant de plus en plus souvent rencontrées. Même le gouvernement américain, ce privilégié, s’interroge ouvertement à ce propos. Le Secrétaire au Trésor Steven Mnuchin prend le sujet à cœur et veut vérifier la demande que de telles émissions rencontreraient, au cas où… En Europe, l’Irlande et la Belgique ont déjà sauté le pas, les volumes restant toutefois limités car le marché est en période de test. Du temps de sa splendeur, en 2012, le ministre britannique George Osborne avait annoncé son intention d’émettre des titres à cent ans, voire de la dette perpétuelle dont le principal n’est jamais remboursé, à moins que les titres ne soient rachetés. En tout état de cause, sur le marché de l’euro, la tendance est là, la maturité moyenne de la dette souveraine ne cesse de grimper et on en comprend la raison.
Avec cette méthode, les gouvernements occidentaux peuvent-ils espérer échapper à un défaut qui déstabiliserait gravement le système financier, faute du point d’appui que leur dette représente tant qu’elle est honorée ? Ils repoussent seulement les échéances. Le tabou dont la restructuration de la dette fait l’objet, rompant avec une pratique établie, n’a pas pour seule origine la domination de la pensée ordo-libérale, il vise aussi à stabiliser un système financier de plus en plus décorrélé de l’activité économique. L’État n’a pas perdu toutes ses raisons d’être, il reste fournisseur exclusif de collatéral de qualité et en fait payer le prix à ses administrés, confirmant le caractère parasitaire dominant de l’activité financière, quand il ne la sauve pas en dernier ressort.
Si l’endettement n’est plus le levier de la croissance, et si les inégalités de revenu et de patrimoine continuent à s’accentuer et empêchent d’y pourvoir, comment alors s’en sortir ? Un régime de contrôle et de coercition social va-t-il émerger, prolongement naturel d’une fracture sociale ouverte qui ne peut plus être réduite, les sociétés développées renversant la vapeur et adoptant comme modèle par défaut celui des sociétés émergentes, le monde retrouvant sa cohérence globale, mais par le bas ? Des enclaves de richesse subsisteront sous haute protection.