Billet invité.
Selon la Fed de New York, le volume des emprunts des particuliers a dépassé le pic atteint en 2008. Elle met en garde contre toute interprétation hâtive à ce sujet : le temps de la titrisation à tout-va des prêts « subprimes » n’est pas revenu, mais elle reconnait qu’il ne faut pas y voir un signe du redémarrage de l’économie et que ce n’est en rien « un motif de célébration ».
Fin mars, cette dette s’élevait à 12.730 milliards de dollars, soit 70% du PIB des États-Unis pour reprendre la référence habituelle, mais sa structuration a changé. Le crédit hypothécaire ne représente plus que 68% du total de l’endettement, contre 73% en 2008. Par contre les parts des prêts étudiants (11% contre 5%) et du crédit automobile (9% contre 6%) sont en forte hausse.
Est-ce que cela traduit l’amélioration de la situation économique exprimée par les taux de la croissance et du chômage – ces indicateurs auxquels il est beaucoup trop prêté – ou est-ce au contraire le signe de la détérioration de la situation de ceux qui contractent en plus grand nombre ces prêts pour financer leurs études ou acheter leur véhicule ? La hausse des défauts, particulièrement notable dans le secteur des prêts étudiants, tendrait à valider la seconde hypothèse. Ainsi que la progression de l’encours des cartes de crédit, qui est la plus forte.
Afin de maintenir leur standing d’une génération à une autre, les Américains n’ont d’autre ressource que de s’endetter davantage. En dix ans, le volume des prêts étudiants a augmenté de 170 %. 44 millions d’Américains en ont contracté un, de 34.000 dollars en moyenne. Huit millions d’entre eux sont en défaut de remboursement. Significativement, 90 % des nouveaux prêts étudiants sont désormais garantis sur fonds publics… Si l’on cherche un indicateur du délitement des classes moyennes américaines, on l’a incontestablement trouvé.
On savait que l’État américain tirait des traites sur l’avenir qu’il ne pourra pas rembourser, dont le montant ne cesse vertigineusement de croître. Mais, après une chute de l’endettement des particuliers au cours des premières années de crise, celui-ci est reparti de plus belle à la hausse. Ce qui représente une même fuite en avant et devrait imposer de corriger sans tarder les inégalités de patrimoine et de répartition des revenus qui ont atteint des sommets, car leurs effets s’apparentent pour ceux qui en sont les victimes à la délivrance d’un billet sans retour.
Le FMI, la Banque mondiale et l’OCDE s’y mettent à plusieurs pour le préconiser, mais on en cherche les effets. L’aveuglement des politiciens ou l’appât du gain des nantis ne sont pas seuls en cause : ces organismes n’identifient pas les mécanismes qui sont à l’œuvre et se révèlent incapables de préconiser les mesures permettant de les enrayer.
Une prise de conscience tardive de la nécessité de réduire les inégalités est toutefois apparue aux États-Unis, mais elle est curieusement moins apparente en Europe, où pourtant la détérioration de la situation sociale est très prononcée et partie pour être durable. La faute en est, semble-t-il, à l’intériorisation des préceptes libéraux et à la difficulté de sortir de leur cadre. Ainsi qu’à la démission de ceux qui se réclamaient il y a encore peu du socialisme. Seule satisfaction, ces derniers ont fait place nette !
Une forte corrélation est pourtant mise en évidence entre l’accroissement des inégalités, la montée des affrontements violents de toute nature et les transgressions des libertés. Rien n’y fait et en filigrane semble irrésistiblement se dessiner une nouvelle société qui n’a pas de quoi faire rêver.