Billet invité.
L’administration Trump est mobilisée par la réalisation d’une promesse centrale : la relance de la croissance américaine. Mais celle-ci se heurte à de fortes contraintes budgétaires, le camp républicain étant farouchement opposé à toute augmentation du déficit pour la financer, à moins qu’elle ne soit accompagnée de nouvelles ressources ou de coupes budgétaires correspondantes.
Steven Mnuchin, le secrétaire au Trésor, prétend échapper à cette injonction en défendant le concept qualifié de dynamic scoring, la réduction des impôts renforçant l’activité économique et générant au bout du compte de nouvelles rentrées fiscales venant les compenser. Selon lui, les réductions d’impôts « se financeront d’elles-mêmes » car la croissance américaine atteindra au moins 3 %, au lieu de 1,6 % en 2016 et moins de 2 % par an en moyenne sur la dernière décennie. Mais il rencontre un grand scepticisme, la plupart des analystes n’accordant aux coupes massives d’impôts qu’un impact limité sur la croissance, recherchant vainement dans le passé des cas « d’autofinancement » de la sorte. Les recettes traditionnelles du libéralisme ne sont pas fonctionnelles, mais elles ont – comme tout dogme qui se respecte – la vie dure.
Cette perspective est en effet très aléatoire, car il a été calculé que la baisse de 35 à 15 % de l’impôt sur les sociétés représenterait sur 10 ans une baisse des revenus de 2.000 milliards de dollars, ce qui nécessiterait une augmentation de la croissance de 0,9 % durant la même période. Précisément l’objectif très ambitieux que Steven Mnuchin prétend atteindre, ayant fait de son côté le même calcul pour retomber sur ses pieds.
Significativement, il n’est opposé à cette politique de réduction des impôts que deux facteurs : l’augmentation de la population active (par l’immigration ?) et l’accroissement de la productivité. Dans un pays où la consommation est de loin le principal moteur de la croissance, il ne vient même pas à l’idée qu’une autre distribution des revenus soit devenue une question incontournable, l’expérience ayant été faite des périls d’un endettement non soutenable. Déjà les prêts automobiles, à la consommation ou destinés aux étudiants atteignent des niveaux très élevés, même si leur enveloppe n’est pas comparable avec celle du crédit immobilier hypothécaire.
Il n’y a pas d’autre alternative au crédit que la mise en cause des inégalités, quand bien même Donald Trump redonnerait avec ses mesures un peu de pouvoir d’achat à sa clientèle électorale, ce qui ne ferait que freiner la détérioration de sa situation. Les États-Unis ne redeviendront pas ce qu’ils ont été, le temps du rêve est fini, car le promoteur immobilier devenu président s’appuie pour conforter son pouvoir sur des secteurs d’activité dont la bonne fortune appartient au passé.
L’interrogation sur le moteur de la croissance devrait être accompagnée d’une autre portant sur sa nature, et retarder la discussion ne fera que la rendre plus urgente. En attendant, il ne faut pas aller chercher très loin pour trouver de fortes incitations à remédier au constat que depuis 30 ans les revenus du travail stagnent ou même chutent, et que la richesse est concentrée entre de moins en moins de mains. Tel est, selon le FMI, un des facteurs de faiblesse de la petite reprise de l’économie mondiale qu’il enregistre, en préconisant pour la renforcer que « les gains soient partagés avec le plus grand nombre ». Concrètement, le Fonds suggère des mesures de redistribution via « des initiatives bien ciblées pour aider les travailleurs qui pâtissent des transformations structurelles », à conjuguer « avec des dispositifs de sécurité sociale qui lissent la perte de revenu ».
Que ne sont-il pas prêts à concéder devant le danger politique du « populisme » montant ? Mais n’est-il pas trop tard pour revenir en arrière, faute de mettre à nu les racines structurelles du développement des inégalités pour s’y attaquer ? Que peut-il alors en être attendu ? Une indication est donnée par la Commission européenne, qui veut faire dans le social afin de contrer la défiance que l’Europe suscite désormais, et qui accouche d’une opération de communication. Résultat d’un geste qui se veut fort, elle a publié un « Socle européen des droits sociaux » qui ne va pas changer la face du monde, les vingt principes qu’elle énumère étant non contraignants…