Billet invité.
Décrire le démantèlement multiforme de l’Europe est fastidieux. Devant ce désastre consommé, les plus hautes autorités vont tenter à Rome de refixer un cap avec la formule passe-partout d’une Europe à plusieurs vitesses. Mais la vision – puisqu’il en faut une – ne vaut qu’à condition qu’il ne soit pas entré dans les détails. Hypocritement, les quatre d’entre elles qui se sont réunies pour préparer le prochain sommet de Rome ont prétendu qu’elles s’en tenaient à des généralités pour ne pas clore le débat avant de l’avoir ouvert, mais la vérité est qu’elles n’avaient pas les moyens d’entrer dans le vif du sujet. La dynamique européenne s’était arrêtée, elle s’est inversée.
La chronique de cette revue de détail est chaque jour alimentée par de nouveaux évènements. N’étant pas parvenu à bloquer la réélection de Donald Tusk à la Présidence du Conseil européen, le gouvernement polonais, a ce week-end annoncé vouloir bloquer toutes les décisions réclamant l’unanimité au sein de l’Union européenne.
Sempiternel sujet, les négociations entre le gouvernement grec et le quartet ne sont toujours pas conclues, accroissant le risque de déboucher sur un Grexit aux conséquences hasardeuses à l’été. Les créanciers européens s’en tiennent à des prévisions d’excédent budgétaires pour les dix ans à venir irréalistes et le FMI continue d’exiger des réformes et mesures d’austérité atteignant les plus démunis. Si un accord n’est pas trouvé le 20 mars prochain, un ultime créneau se présentera en mai…
Les désaccords entre créanciers attisés par l’intransigeance du gouvernement allemand ne font plus mystère. Le quotidien Handelsblatt s’est procuré un document interne qui en émane et explique peut-être la raison. Il y est constaté que le Pacte budgétaire n’est pas respecté. Si celui-ci est reconnu avoir permis de justifier auprès de l’opinion les programmes de soutien, « il ne peut pas être observé depuis son adoption en 2014 d’importantes améliorations du respect de ses règles ». Et le rapport critique la Commission qui laisse croire que des pays nommément désignés, comme la France et l’Italie, respectent les règles alors qu’il n’en est rien. Selon Handelsblatt, il préconise que le gouvernement rejette les rapports annuels de la Commission à ce sujet et demande qu’ils soient revus.
Ce n’est pas non plus un mystère, Berlin entend conditionner son futur accord à une reconfiguration institutionnelle de l’Europe au respect du Pacte budgétaire. Pas question qu’à la souplesse institutionnelle qui par nécessité va prévaloir corresponde un assouplissement des objectifs en matière fiscale et budgétaire : les gouvernements issus des prochaines élections française et italienne sont désormais par avance avertis !
La situation politique italienne continue d’être confuse. L’hypothèse d’une coalition Parti démocrate/Forza Italia disposant d’une étroite majorité reste sur la table, malgré ses nombreux aléas, mais celle d’un gouvernement dominé par le Mouvement des 5 étoiles est loin de pouvoir être écartée. On sait que ce parti a depuis longtemps annoncé vouloir organiser un referendum a propos de l’appartenance de l’Italie à l’euro, et l’on apprend dans la Stampa qu’une réflexion serait engagée du côté de Silvio Berlusconi à propos d’une monnaie parallèle, la nouvelle lire. Or l’Italie est a priori destinée à faire partie du futur noyau dur de l’Europe…
Avec quelles équipes au pouvoir les élections allemande, française et italienne vont-elles déboucher ? Des marges de négociation seront-elles disponibles, et lesquelles, dans un contexte ou toute révision des traités apparait comme insurmontable ? A des degrés divers et suivant les pays, la construction européenne et la monnaie unique sont aujourd’hui mises en question. Deux options sont disponibles sur le papier : partir de ce qui existe pour le transformer, ou sortir du piège pour repartir sur de nouvelles bases ? Le débat a été posé de manière très simpliste lors de la Conférence de Rome à propos du « Plan B », une fois les marches à gravir du « Plan A » dessinées trop hautes pour être franchies. Il en a découlé une stratégie du tout ou rien qui n’ose être revendiquée, qui revient à adopter une attitude purement propagandiste.
La prochaine rencontre de l’extrême-gauche européenne aura lieu en octobre à Lisbonne, non sans paradoxe. Le gouvernement socialiste portugais, soutenu par le Bloc de gauche et le parti communiste, engrange en effet dans les sondages le succès de sa politique qui s’inscrirait d’autant plus facilement dans un « Plan A » mené à l’échelle européenne qu’il ferait des émules. Le parti socialiste est parvenu à 40% des intentions de vote, et son concurrent de droite est… descendu à 28%. La stratégie de Syriza a une nouvelle fois fait office de repoussoir à Rome, mais les temps ont changé et ils mériteraient d’être réévalués… Première urgence, que l’Europe fonctionne sur un mode démocratiques !