Billet invité.
S’il y a un sujet sur lequel les dirigeants européens devraient se faire tout petits vis-à-vis de Donald Trump, c’est bien sur celui de l’émigration. Car ils ajoutent à sa même politique de fermeture des frontières une grande hypocrisie dans son énoncé, après avoir critiqué Trump au nom de valeurs européennes qu’ils ne respectent pas.
Comme l’on pouvait s’y attendre, le sommet informel de la Valette d’aujourd’hui n’a strictement rien réglé. Donald Tusk, le président en titre de l’Union européenne, avait la veille affirmé « Il est temps de fermer la route de l’immigration irrégulière entre la Libye et l’Italie, comme nous l’avons fait avec la Turquie », mais le geste ne peut pas suivre la parole. Un compte à rebours est pourtant enclenché, 2.750 réfugiés ont été sauvés en mer ces trois derniers jours, le temps étant au beau, combien doit-il en être attendu quand le printemps surviendra ?
Comment endiguer le flux des réfugiés avant qu’ils ne parviennent en Europe, recueillis en mer et transférés en Italie quand ils ne sont pas morts noyés ? La plus parfaite hypocrisie règne à ce sujet. Angela Merkel, tout juste de retour à Ankara où elle a été négocier avec le président turc le maintien de la fermeture de la frontière maritime de la Turquie, explique « nous savons que la situation des réfugiés est dramatique en Libye. C’est pour cela que nous devons procéder dans le même contexte qu’en Turquie : empêcher l’illégalité, mettre fin au jeu des passeurs et des trafiquants et améliorer la situation des réfugiés ». Pour un peu, abandonner les réfugiés au dramatique sort qui est le leur en Libye relèverait de l’aide humanitaire…
La Commission voudrait développer des partenariats avec les pays d’émigration du sud de la Libye (Sénégal, Mali, Nigeria, Niger et Éthiopie), en leur proposant de l’aide au développement pour s’attaquer aux racines des migrations. En contrepartie, ils devraient admettre leurs ressortissants expulsés d’Europe. Mais ces pays ne veulent pas prendre de tels et très impopulaires engagements, qui les conduiraient à renoncer aux sommes considérables qui sont envoyées à leurs familles par les migrants.
Que reste-t-il comme moyen ? Le HCR et l’Office international des migrations exhortent les Européens à ne pas recourir à la « détention automatique dans des conditions inhumaines en Libye », mais à opter pour « la création de services d’accueil appropriés ». Mais l’implantation de ceux-ci sur le sol libyen n’est pas possible en raison de la situation interne du pays, tandis que la création de camps dans le nord de l’Afrique est un projet très controversé qui soulève d’immenses questions. Dans quels pays seraient-ils construits et qui en assurerait la surveillance ?
Un deuxième niveau d’hypocrisie est atteint lorsqu’il est expliqué que l’examen des demandes d’asile pourra être opéré dans ces hypothétiques centres provisoires, connaissant la nationalité des réfugiés et les règles très restrictives en cette matière que se sont données les autorités européennes. À part les Syriens, quand ils parviennent à obtenir le droit d’asile, c’est pour les autres un refus quasi assuré. Ces camps n’auraient rien d’une structure d’accueil provisoire.
Que reste-t-il donc, in fine, afin d’endiguer l’exode au départ de la Libye ? Le projet d’étendre la mission de Sophia dans les eaux libyennes n’étant pas réaliste, les dirigeants européens se sont rabattus sur la création d’une « ligne de protection » dans les eaux territoriales libyennes. Ne rêvons pas, qui s’agit-il de protéger ? ce sont les Européens et non pas les réfugiés… Des crédits vont donc être dégagés pour former des gardes-côtes et les équiper en navires sous pavillon libyen. Ceux-ci opéreront au plus près des côtes et auront pour mission de débarquer dans les ports libyens les réfugiés interceptés, en s’assurant que ce sera « dans des conditions appropriées », sans autres précisions ni garanties sur leur sort. Un petit aspect du plan n’est pas donné publiquement : s’il fonctionne, il permettra de réduire le nombre de réfugiés parvenant à franchir la limite des eaux territoriales et diminuera d’autant le facteur d’attraction que représente la mission Sophia et les navires affrétés par des ONG, comme Aquarius.
Les ONG ne l’entendent pas ainsi, qui savent le sort qui attendra les réfugiés interceptés en Libye, avec pour le HCR pas d’autre choix que de tenter de l’adoucir. L’Unicef s’inquiète pour sa part de décisions qui « représentent littéralement une question de vie ou de mort pour des milliers d’enfants en transit ou bloqués en Libye. »