Billet invité.
Chaque jour est pire que le précédent. La question posée n’est plus « Donald Trump va-t-il s’assagir ? » mais « jusqu’où va-t-il aller ? ». La journée d’hier et ses rebondissements ont montré qu’il n’avait pas l’intention de faire dans la demi-mesure. À tel point que l’on peut se demander si l’on n’assiste pas, au vu de la somme des mesures prises et annoncées ainsi que des méthodes employées, à un véritable changement de régime. Tiendra-t-il ?
Il y a dans la désinvolture avec laquelle Donald Trump prend possession des leviers de commande et maltraite les procédures comme l’apparence d’un coup d’État. Les règles habituelles de l’alternance politique et du passage d’une administration à une autre sont bousculées, le nouveau président impose sa loi à sa façon, il tranche dans la précipitation par voie d’une avalanche de décrets présidentiels (executive orders).
Il n’a pas l’intention de renoncer à ses méthodes expéditives, bien qu’il dispose au Congrès d’une majorité républicaine, afin de ne pas se retrouver sous la pression de ceux qui voudraient le freiner, pensant qu’il va trop loin. En faisant accéder l’exécrable Steven Bannon au Conseil de sécurité national, Donald Trump signifie qu’il ne se laissera stopper par rien, d’autant qu’en nommant aujourd’hui un nouveau juge à la Cour Suprême, il va s’assurer qu’il est couvert.
Une impressionnante vague de protestation multiforme s’est développée dans le pays, dont la manifestation spontanée à l’aéroport Kennedy de New York a donné le ton. De grandes entreprises de la Silicon Valley comme Apple, Microsoft, Google, Airbnb ou encore Netflix les ont jugé « contraires aux valeurs américaines ». Les Pdg de Goldman Sachs et de JP Morgan ont pris leur distance avec les mesures anti-immigration. Barack Obama n’a pas attendu dix jours pour se manifester, ayant annoncé qu’il le ferait si « les valeurs fondamentales » de l’Amérique étaient menacées.
Le mouvement des « villes sanctuaires » s’est amplifié, de nombreuses grandes villes comme New York, Chicago, Los Angeles ou Minneapolis ayant annoncé « limiter » leur coopération avec l’agence fédérale responsable des expulsions. En Californie des signatures sont recueillies en faveur du « Calexit », avec la peu probable mais symbolique perspective création d’une Nation californienne qui ferait sécession des États-Unis.
Sur quoi cela peut-il déboucher?
Les mesures commerciales protectionnistes dont le succès n’est pas garanti, vont remodeler le monde. Au banc des sortants la Chine et l’Europe, dont les monnaies sont sous-évaluées et à celui des remplaçants la Russie et l’Inde. En poursuivant ces objectifs, Donald Trump va déstabiliser encore plus un monde déjà bien éprouvé.
Theresa May a enfin obtenu le soutien unanime de son parti en allant à Washington établir les bases d’une alliance entre cousins, qui n’ira pas sans embuches. Elle conforte ses perspectives d’avenir mais va affaiblir l’Europe. D’autant que si Angela Merkel ne retrouve pas dans la politique de la nouvelle administration américaine sa « vision de la coopération internationale », elle ne formule aucune proposition de réaction à l’échelle européenne. Ce qui laisse le ministre français de l’économie et des finances, Michel Sapin, clamer que cette politique fait « courir un grave risque à l’ordre commercial mondial ». Il en est dans ce domaine comme dans celui de la politique fiscale et budgétaire européenne : le diagnostic est posé qu’il faudrait les faire évoluer, mais il n’y a pas de plan pour cela. Le ministre s’en tient à « défendre une vision de la politique commerciale ouverte et juste », c’est un peu court et défensif.
Certains commentateurs se demandent combien de mandats il faudra supporter le nouveau président américain, d’autres évaluent ce qui pourrait briser son élan, évoquant comme recours une procédure d’impeachment toute théorique à ce stade. Les primaires démocrates ont été marquées par une mobilisation massive autour de Bernie Sanders, les élections présidentielles l’ont été par le vote en faveur de Donald Trump. Renouant avec ses grandes heures, la société américaine en ressort durablement polarisée, mais le contexte a bien changé.