Billet invité.
Les spéculations sur les conditions dans lesquelles le Brexit va être réalisé viennent de rebondir avec l’échec du CETA, entraînant dans sa chute celui du TTIP avec les États-Unis. Le premier peut encore être sauvé à condition d’être remanié, mais le second semble plus irrémédiablement condamné vu son stade moindre d’avancement. Le Brexit en sort encadré.
Contrairement à ce qui est prétendu, ce n’est pas la mondialisation qui connait un coup d’arrêt, c’est l’offensive des transnationales pour modeler le commerce international selon leurs intérêts qui est stoppée. Car, dorénavant, ce ne sont plus des barrières douanières qu’il faut abaisser, mais des normes qu’il faut unifier, des règles de propriété intellectuelle qu’il faut renforcer, et des obstacles à l’investissement qu’il faut lever. Toutes choses que le CETA prévoit. Ainsi que, pour couronner le tout, la capacité accordée aux investisseurs privés d’obtenir gain de cause face aux pouvoirs publics devant une juridiction d’exception, quand une réglementation va à l’encontre de ses intérêts.
Il ressort du rejet du CETA que la meilleure solution pour faire adopter demain les clauses du Brexit – qu’il soit strong ou soft – consistera à n’y faire figurer que ce qui est strictement de la compétence de la Commission pour éviter l’étape de la ratification. Mais cela laisse pendant le sort réservé aux services financiers, alors que pour les banques installées à la City, notamment les succursales des grandes banques étrangères, le temps presse pour décider ou non de s’installer ailleurs…
Dans ces temps de grande incertitude – faute de préparation à l’évènement, et de définition d’une stratégie claire de négociation de part et d’autre – de premières conséquences possibles du Brexit se dessinent. Parmi celles-ci, une diminution de l’impôt sur les bénéfices des entreprises – de 20% à 10% – pourrait selon le Sunday Times être décidée par le gouvernement britannique.
Les autorités européennes planchent sur le même sujet avec des intentions contraires, préparant une directive sur cette même taxation. Avec comme premier objectif d’unifier son taux, et comme second de mettre en place un mécanisme destiné à la consolidation de la taxe et à son allocation pays par pays. L’enjeu est de supprimer toute politique de moins-disant fiscal, mais le second volet n’est pas près d’être adopté…
Ce qui est en jeu, dans les deux cas, c’est de laisser les moyens minimum à l’Etat providence pour qu’il puisse dispenser la charité et éviter que la crise sociale et politique ne s’approfondisse trop. Il en est fort tardivement pris conscience. Ainsi, le gouvernement britannique devra prendre en compte le trou crée par la baisse de l’importante contribution des services financiers au budget de l’État avant de décider de diminuer volontairement ses recettes fiscales.
La configuration des années à venir se dessine peu à peu. La faiblesse de la croissance et le maintien de la pression déflationniste sont déjà acquis. La persistance d’un chômage très élevé s’y ajoute, ainsi que le renforcement des inégalités. Quelle politique les hauts dirigeants européens, occupés à gérer leurs divisions, vont-ils adopter ? Ils ne donnent – eux ou leur successeurs – aucun signe de revenir sur des contraintes budgétaires et fiscales qu’ils ont au contraire figées, n’ayant pas de politique de substitution. Dans ces conditions, à quoi allons-nous assister ?
Dans l’immédiat, à un délicat examen des budgets nationaux par la Commission. Il est d’ores et déjà acquis que celle-ci va attendre que soit passé le référendum italien avant de se prononcer, un grand classique. Une réunion de l’Eurogroupe destinée à prendre en considération l’avis de la Commission sur les projets de budgets nationaux 2017 est fort à propos convoquée pour le 5 décembre. Mais l’on croit savoir que le désaccord entre celle-ci et le gouvernement italien porterait sur 0,1% du PIB (1,7 milliard d’euros), une fois utilisées toutes les marges de flexibilité disponibles au titre des dépenses occasionnées par le tremblement de terre et l’accueil des réfugiés. Matteo Renzi va en tout cas saisir cette nouvelle occasion d’un nouvel assaut, avec le risque que le camp des opposants au maintien de l’Italie dans la zone euro ne se renforce encore et l’oblige à composer avec lui.
A peine investi, le PSOE s’abstenant pour éviter de nouvelles élections qui s’annonçaient pour lui catastrophiques, Mariano Rajoy ne va pas se trouver en excellente position. Hors de question pour lui d’atteindre l’objectif de déficit 3,1% du PIB qui lui est assigné, les prévisions prévoyant 3,6%. La différence représente 5 milliards d’euros. Le président du gouvernement espagnol va être pris en tenaille entre les exigences de Bruxelles et ses promesses électorales, sous la pression du PSOE et de Podemos. Avec comme arme principale – mais difficile à manier, car cela pourrait se retourner contre lui – la perspective de nouvelles élections dont les Espagnols ne veulent pas, s’il était mis en minorité aux Cortes. Pour l’Espagne, les marges de manœuvre vont être encore plus étroites que pour l’Italie…
Au regard de ce qui s’annonce, deux attitudes vont être possibles. Soit entrer dans la logique des sanctions, auxquelles l’Espagne et le Portugal ont échappé à la précédente occasion, soit trouver à nouveau des accommodements. Quoi qu’il en soit, Wolfgang Schäuble a pris date, dans l’attente des élections allemandes de l’automne prochain, voulant dessaisir la Commission de sa mission de contrôle budgétaire au profit du Mécanisme européen de stabilité (MES). On devine que cela n’ira pas dans le sens de l’assouplissement, si cela intervient.
Les marges de manoeuvre dont celle-ci disposera, une fois le cap des élections allemande et française passé, ne sont pas claires. Nous serons en 2017, et il faudra encore attendre deux ans pour qu’intervienne la fin des mandats de Jean-Claude Juncker et de Mario Draghi, dans le contexte du délitement de l’Europe qui est appelé à se poursuivre. Cela sera quasi simultané avec la fin programmée des négociations sur le Brexit, si le calendrier en est respecté.
2019 sera l’année de tous les changements. Une situation propice à tous les affrontements en coulisses préludes à des compromis en façade. Avec le risque que l’emporte un resserrement des liens européens, mais dans un cadre ultra-libéral et de respect intransigeant des contraintes fiscales.