Billet invité.
Au lendemain des élections régionales de Berlin, il se confirme si besoin est que les grands partis de gouvernement ne sont plus à la fête. Ce n’est d’ailleurs pas seulement en Europe que cela se constate, vu le rejet que suscitent au sein de leurs camps réciproques les candidats démocrate et républicain aux États-Unis, et la manière dont les cartes électorales y sont également brouillées.
On mesure mal les conséquences à venir du score de Bernie Sanders aux États-Unis ou bien de celui de Jeremy Corbin au Royaume-Uni. Celui-ci a suscité l’afflux d’une centaine de milliers d’adhésions au parti travailliste. Ils ne jouent certes pas en première ligne, mais expriment un même rejet et une même espérance. L’essai que Podemos ne parvient pas à transformer en Espagne ne doit pas occulter le mouvement profond qui secoue le pays et la recomposition politique qui va néanmoins se poursuivre.
Liés par des accords de coalition, la CDU et le SPD ont tous deux perdu un paquet de plumes à Berlin. Ici aussi, la recomposition du paysage politique se poursuit. Campée à l’extrême-droite, l’AfD récolte les fruits de sa campagne xénophobe, dont l’origine est à trouver dans le traitement des Grecs par la presse populaire, qui a chauffé la salle. L’exode des réfugiés et la décision d’Angela Merkel de leur ouvrir en grand les portes du pays a fait le reste. À petites touches, elle revient sur son geste initial, mais le mal est fait.
Comme le vote sur le Brexit l’a également montré au Royaume-Uni, il est difficile de faire la part de la xénophobie résultant de la crise des réfugiés de celle de la crise économique et sociale européenne, cet autre repoussoir. Les deux se combinent, expliquant que l’extrême gauche profite moins de la situation que l’extrême droite. Quoi qu’il en soit, pour la première fois depuis la guerre de 40-45, un parti d’extrême droite fera son entrée au Bundestag, c’est acquis !
Berlin étant marqué à gauche, une coalition alternative s’y dessine, emmenée par le SPD (22%) et regroupant les Verts et Die Linke, ce dernier progressant et faisant jeu égal avec les écologistes (15%). La reconduction d’une telle configuration au niveau fédéral est cependant une hypothèse hasardeuse, même si celle de la coalition actuelle n’est plus garantie au train où son effritement électoral se poursuit. La crise politique n’épargne pas l’Allemagne. D’ores et déjà, il n’y a plus de majorité au Bundesrat (la seconde chambre allemande) pour adopter le traité commercial liant le Canada avec l’Union européenne (CETA), qui a suscité une nouvelle grande manifestation s’y opposant.
Le cap des élections allemande et française passé, le démantèlement de l’Europe va-t-il se poursuivre ou un sursaut sera-t-il possible ? Cela supposera des initiatives communes et une remise en question de facto du traité d’instabilité qui ne soient pas assorties de la poursuite de l’austérité budgétaire et de l’adoption d’un programme de mesures néolibérales antédiluviennes. Pour le moins, les candidats ne se pressent pas.
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On a pris l’habitude des déclarations solennelles et incantatoires à propos de la relance de l’économie et du retour de la croissance. L’Assemblée générale de l’ONU ne va pas procéder autrement vis à vis des réfugiés. Devant la plus importante crise migratoire depuis la deuxième guerre mondiale, elle se prépare à adopter une déclaration politique qui met l’accent sur « les droits fondamentaux » des migrants. Fort bien ! mais celle-ci ne contient aucun objectif précis, aucun engagement sur la répartition de l’accueil des réfugiés dans les pays développés. Elle ne sera pas suivie d’un grand effet, comme s’il fallait que l’impuissance soit désormais la règle de conduite.
Cela illustre pleinement la crise globale dans laquelle le monde se trouve, et dont les caractéristiques ne sont pas propres à l’Europe. D’autres manifestations que le refus de l’émigration passent à tort inaperçues. La progression de la mondialisation exprimée en volume des échanges internationaux est en forte régression, et les transactions sur le marché des changes (le Forex) ont brutalement diminué. On enregistre une détérioration du rapport entre les actifs disponibles, de plus en plus sollicités lorsqu’ils sont présumés de bonne qualité, et une masse financière qui ne cesse d’enfler.
Nous sommes entrés dans une phase de contraction généralisée, à l’exception notable du développement des inégalités et de l’endettement, qui se poursuivent. Ajoutée à une instabilité financière qui n’est pas résorbée et à une régulation qui ne va pas au fond des choses, ce n’est tout simplement pas tenable. Les banques centrales en font l’expérience.
Le président de la Bundesbank Jens Weidmann souligne que « les taux d’intérêt bas affaiblissent encore davantage la discipline budgétaire. Or les montagnes de dettes peuvent devenir un problème, quand les taux vont à nouveau remonter. Cela ne sera peut-être plus supportable ». C’est bien de cela qu’il est question, impliquant la poursuite d’une politique de taux bas afin d’éviter une restructuration d’ensemble de la dette, la discipline budgétaire préconisée ne produisant pas ses effets escomptés. Dilemme, ces taux bas perturbent des pans entiers du système financier…
Nous avons changé d’époque. Ce que les dirigeants politiques se refusent à envisager en prétendant refaire fonctionner la machine comme avant. Démunis, les électeurs cherchent de nouvelles têtes auprès des plus offrants. L’instabilité politique prime, qui n’a pas fini de faire ses effets. Mais une question ne peut être éludée : va-t-il falloir expérimenter l’illusoire repli sur soi avant de se décider à emprunter la piste de la rupture ?