Billet invité.
Les plus hautes autorités européennes sont décidément sorties des clous, comme en témoignent les préparatifs du sommet de Bratislava du 16 septembre prochain. Orchestrée par leurs soins, la tragi-comédie est destinée à durer.
François Hollande l’avait annoncé, ce sommet va être celui de la sécurité des frontières extérieures et du renforcement des moyens militaires d’intervention de l’Europe. Préparé sous les auspices franco-allemands, voilà de quoi continuer à alimenter le climat xénophobe en se plaçant sur le terrain d’élection des formations d’extrême-droite, ainsi que de favoriser les surenchères sécuritaires ! Ce thème semble avoir été trouvé dans le but de sauver l’unité de façade et de conforter la fiction du renforcement de l’Union européenne, mais il s’appuie pour les renforcer sur les pires dérives.
Ce choix a l’avantage d’éluder toute réflexion sur son démantèlement en cours, souligné par cet évènement majeur qu’est le départ du Royaume-Uni, et illustre l’incapacité des dirigeants à la mener. Et, quand l’un d’entre eux s’y essaye, le président de l’Union en exercice Donald Tusk, c’est pour voir dans le vote des Britanniques « une tentative désespérée de répondre aux questions que des millions d’Européens se posent quotidiennement », précisant qu’il s’agit « des garanties de sécurité des citoyens et de leur territoire, des questions de protection de leurs intérêts, de leur héritage culturel et de leur mode de vie ». La crise économique et sociale disparue du paysage, le sommet sera selon lui « un tournant décisif pour protéger les frontières extérieures de l’Union ».
Que pourra présenter Jean-Claude Juncker dans son discours annuel sur l’état de l’Union devant le Parlement européen cet après-midi pour ne pas s’en tenir à cette désastreuse opération de manipulation de l’opinion ? Il va annoncer un prolongement au plan d’investissement européen qui porte son nom, destiné à stimuler la croissance avec le peu de succès que l’on sait, avec des mesures « qui amélioreront la vie des gens », en priorité les jeunes selon son porte-parole. Un autre plan reposant également sur des capitaux privés, mais amorcé sur fonds publics, viserait à limiter les migrations africaines.
En fait de sommet extraordinaire destiné à donner une nouvelle impulsion à l’Europe, à quoi allons-nous assister ? À la poursuite modulée de la politique de réformes libérales et de consolidation budgétaire, qui va contribuer à de nouvelles détériorations des couches sociales européennes les plus fragiles et amplifier la crise politique.
Réunis à Paris, les présidents des groupes sociaux-démocrates des Parlements de l’Union européenne se sont prononcés hier mardi pour une « évolution » du pacte de stabilité. Dans leur élan, ils ont décidé… de mettre en place un groupe de travail. Le représentant du SPD allemand ayant bien précisé que tout devait se faire dans le cadre des traités existants. Le blocage se poursuit donc, sans qu’il puisse être question d’un changement de politique. Avec ses limites vite trouvées, flexibilité est le mot clé, ce terrain que Matteo Renzi a déjà beaucoup arpenté. Le prix à payer pour cette politique va augmenter, sans que la dénonciation du « populisme » qu’elle alimente y change quoi que ce soit.
Il faut penser à ceux qui n’ont pas profité de la mondialisation afin d’en éviter un contrecoup politique qui pourrait faire obstacle à sa poursuite, car celle-ci est toujours considérée comme la voie royale de la relance de l’économie mondiale, en dépit de toutes les distorsions qu’elle a au contraire suscité. Ils s’y sont mis à deux, chacun de son côté – Christine Lagarde, Mario Draghi – pour lancer des appels en ce sens. Eux aussi ont réagi, à leur manière, à la montée des appels au protectionnisme et à l’hostilité grandissante à l’égard des élites, ainsi qu’à la montée de la crise politique. « La globalisation doit apporter à tous » a insisté Christine Lagarde, observant que « la croissance des inégalités dans les domaines de la santé et des revenus (…) ont alimenté la lame de fond du mécontentement ». Mario Draghi a précisé que l’objectif n’était selon lui pas seulement d’accroître le PIB mais également d’offrir « des protections essentielles aux plus vulnérables », se déclarant notamment favorable à l’idée d’un fonds pan-européen à ce propos, ainsi qu’aux mesures combattant l’optimisation fiscale.
Aucune de ces préoccupations ou de ces mesures ne figure toutefois à l’ordre du jour de la réunion de Bratislava, comme si les dirigeants européens étaient prisonniers de la logique de ce qu’ils ont enclenché, subissant ses effets et les accentuant. Une impuissance collective sans remède.