Billet invité.
Poursuivant l’épuration à grande échelle qu’il a entreprise dans le pays et sûr de son fait, le président turc veut maintenant marquer des points à l’extérieur. Contre les Kurdes soutenus par les Américains, il intervient militairement en Syrie après avoir mis en scène un rapprochement avec les Russes, comme s’il préparait un renversement d’alliance. Aux Européens, il adresse via son ministre des affaires étrangères un avertissement : fin octobre est la date limite pour l’exemption de visa des citoyens turcs, faute de quoi « la Turquie ne pourra pas continuer à stopper à elle seule la migration irrégulière ». L’ultimatum n’a jamais été aussi explicite. Le président turc a un puissant levier en main, et les dégâts seront immenses s’il décide de l’actionner.
Passera-t-il à l’acte en ouvrant les vannes ? Accréditant cette menace, une augmentation du nombre des réfugiés parvenant à atteindre les îles grecques depuis le putsch de la mi-juillet a été enregistrée mardi dernier, un pic de 432 nouveaux arrivants ayant été atteint. Que font les autorités européennes ? le gros dos !
La « polycrise » européenne ne se résorbe pas, au contraire, alors que les autorités britanniques n’en finissent pas de choisir leur stratégie de négociation, et que Owen Smith, le challenger de Jeremy Corbyn au sein du parti travailliste, mène sans succès apparent campagne en faveur d’un second referendum. Brexit dur ou Brexit arrangeant ? la question ne semble pas près d’être tranchée par Theresa May, la nouvelle première ministre, qui est soumise à de forts vents contraires. Combien de temps va-t-il falloir vivre avec cette incertitude qui rajoute à la confusion ? Au moins, du temps de la Grèce, une politique se dégageait…
C’est sur le principe de la libre circulation des personnes que les points de vue sont irréconciliables. Les autorités européennes ne peuvent la dissocier, ainsi que les Britanniques le souhaiteraient, des trois autres libertés accordées au sein de l’Union aux capitaux, aux marchandises et aux services. Une position à rapprocher de la fermeture des frontières de la zone Schengen aux réfugiés, sur laquelle elles sont tout aussi intransigeantes, mais dont elles ne détiennent pas les clés !
Manuel Valls, le premier ministre français, a dressé le cadre d’une Europe qu’il faut selon lui « refonder » : « La gauche européenne, social-démocrate, doit se faire entendre davantage sur la relance économique, sur l’assouplissement des règles du Pacte de stabilité, pour lutter contre le dumping social et la fuite fiscale, sur le dossier des travailleurs détachés ». Une envolée de meeting soigneusement calibrée dont on attend la mise en musique par Michel Sapin, le nouveau ministre des finances et de l’économie, et que la présidence française a platement traduite, en conclusion de la réunion des sociaux-démocrates européens du 25 août en région parisienne, par « une ambition européenne convergente ». Ramenée à cela, il ne va pas y avoir de quoi fouetter un chat.
Destinée à être de portée limitée, la réunion des pays européens du Sud du 9 septembre prochain à Athènes symbolise une solidarité fort tardive avec la Grèce. Pratiquant la politique du possible, ses participants vont revendiquer un assouplissement de la politique de rigueur budgétaire, l’« application intelligente » du pacte européen selon l’expression qui a fait florès à Bruxelles et qu’Angela Merkel a reprise, car il n’est pas question de la remettre en cause. Autant dire que cet assouplissement sera limité. Faute d’une mutualisation du risque et de l’investissement, c’est l’union chacun dans son coin qui se prépare.
Au niveau européen, les sociaux-démocrates sont tentés de prendre ici ou là leurs distances avec la politique qu’ils ont appliqué des années durant sans état d’âme, le temps des consultations électorales à venir. Le projet d’accord commercial TTIP avec les Américains en fait dans l’immédiat les frais. Dans l’esprit de ceux qui s’y opposent après l’avoir longtemps soutenu, ce n’est pas un coup d’arrêt définitif, tout juste une suspension.
La poursuite de la crise politique va être rythmée par les campagnes allemande et française. Dans cette attente, le sommet européen des 18 et 19 septembre prochain va laisser l’Europe suivre sa ligne de plus grande pente. Le surplace espagnol qui se poursuit illustre le peu que l’on peut attendre sur le terrain politique, Mariano Rajoy ne parvenant pas à forcer la décision et à obtenir l’investiture pour un gouvernement minoritaire, malgré l’accord passé avec Ciudadanos. Restera à passer l’étape de l’acceptation des budgets 2017 par la Commission, pour laquelle elle va devoir faire preuve de créativité. Il lui est demandé par Angela Merkel d’assumer ce que la Chancelière ne peut endosser, mais ses divisions internes compliquent le jeu.
Entre un accord à trouver avec le Royaume-Uni, et la vision de l’Europe des Nations que défend le groupe de Visegrad, où va pouvoir se nicher la refondation de l’Europe dans une impossible synthèse ? À une zone de libre-échange étendue assortie de coopérations renforcées ? Toute autre ambition impliquerait de sortir d’un cadre conceptuel usé jusqu’à la corde, une affaire qui demande encore à mûrir et se confirme être de longue haleine. Les Européens ne se sont jamais donné de politique fiscale et sociale, briser ces deux barrières serait plus constructif que tout nouvel échafaudage institutionnel.