Billet invité.
Ce que la raison n’obtient pas, les faits vont-ils y contraindre ? Pierre Moscovici ne cesse de faire référence à ce qu’il nomme une « application intelligente du Pacte de stabilité et de croissance » en tournant autour du pot. C’est ainsi qu’il a entre autres salué la décision du Conseil européen de ne pas sanctionner l’Espagne et le Portugal pour déficit excessif. Mais il va devoir être plus explicite cet automne, lors de la présentation à la Commission des projets de budgets nationaux pour 2017.
Le décor est planté par Eurostat, qui confirme le ralentissement enregistré par la croissance au deuxième trimestre au sein de la zone euro (0,3%) et de l’Union européenne (0,4%). Avec une croissance nulle, la France et l’Italie – seconde et troisième puissances économiques européennes – tirent l’ensemble vers le bas. Ce qui restreint encore les marges de manœuvre dont disposent les gouvernements pour poursuivre la réduction de leur déficit, comme il leur est enjoint, et rend illusoire toute maîtrise à terme de leur endettement, ce qui impliquera un jour ou l’autre de reconsidérer la question tout autrement. Même l’Allemagne voit sa croissance ralentir, et plus personne ne peut croire des prévisions qui – immanquablement – annoncent un sursaut à venir, quitte à devoir ensuite être révisées. Le FMI s’en est fait une spécialité.
Le rendez-vous du 15 octobre ne pouvant pas être esquivé, comment le préparer ? « Nous sommes en train de discuter avec l’Europe comment aborder l’absolue nécessité de stimuler les investissements publics et privés », a annoncé Carlo Calenda, le ministre italien du développement économique, concluant par des formules qui seront de peu d’utilité quand il faudra trancher : « Nous avons l’intention de respecter les règles, mais nous nous battons aussi pour les changer », a poursuivi le ministre pour qui « l’infranchissable limite est la dette, qui ne peut pas augmenter ». Avec un tel viatique, on est bien avancé. D’autant que Matteo Renzi a déjà annoncé vouloir inscrire au budget 2017 des mesures – qualifiées d’électoralistes car précédent tout juste le référendum de novembre – dont le financement va devoir être trouvé. « La marge de manœuvre est étroite », reconnaît Carlo Calenda.
L’Espagne est le second point chaud. Seul un gouvernement investi par le Parlement sera en mesure de lui présenter un projet de budget 2017 pour adoption, avant de le communiquer à Bruxelles. Or, si le rapprochement entre le parti populaire et Ciudadanos se confirme – via la négociation d’un programme de gouvernement – l’abstention du PSOE aux Cortes qui serait encore nécessaire pour investir un gouvernement minoritaire est loin d’être acquise.
L’Espagne, le Portugal et l’Italie ont obtenu des facilités « sans précédent » de la Commission, mais on ne voit pas comment les contreparties dont elles ont été assorties pourront être dégagées. Dans ces trois pays, Bruxelles ne dispose plus de gouvernements prêts à obéir à ses commandements sans discuter. Et l’hypothèse d’un échec de Matteo Renzi est d’ores et déjà sur la table, qu’il abandonne et ouvre la voie à une victoire du Mouvement des 5 étoiles, ou qu’il persévère sans disposer de l’ouverture européenne indispensable à sa réussite.
S’agissant des contraintes du Pacte, les gouvernements européens traînent de plus en plus les pieds. La Commission elle-même est divisée sur l’attitude à avoir quand elles ne sont pas respectées. Ce ne sont plus seulement les grands pays qui sont exemptés de sanctions. Et Wolfgang Schäuble a dernièrement dû modérer les ardeurs de ses alliés, l’approche des élections législatives allemandes impliquant de calmer le jeu dans un pays où les effets électoraux de la crise des réfugiés se font sentir, au détriment de la CDU et au profit de l’AfD.
Les plus hautes autorités européennes sont désormais aux prises avec un sérieux dilemme : poursuivre dans la voie choisie, et assumer ses désastreuses conséquences politiques, ou en changer en se déjugeant. Seule échappatoire possible, le Brexit ! Quant au gouvernement allemand, il fait obstacle aux mesures d’intégration européennes en refusant toute mutualisation des risques qui les accompagne. Il devient ce faisant l’artisan de la poursuite du démantèlement de l’Europe, trouvant là un terrain d’entente avec le Royaume-Uni.
Afin d’y voir plus clair, il faudra dépasser les élections françaises en avril-mai et allemandes en septembre 2017.