Billet invité.
Le moment est-il venu de marquer un point ? Après avoir dû tant céder pour avoir été si isolé, le gouvernement grec prend l’initiative d’un sommet des pays du sud de l’Europe début septembre. L’ordre du jour prévoit de traiter conjointement les questions économiques et migratoires, dans le nouveau contexte créé par le « contre-coup » du président turc et les incertitudes qu’il génère.
S’il se tient comme prévu, il interviendra à un moment qui pourrait se révéler charnière dans la conduite de la politique économique européenne, suite à la décision de la Commission de ne pas recommander de sanctions à l’encontre de l’Espagne et du Portugal pour déficit excessif, en attendant la décision finale du Conseil européen (qui a jusqu’à lundi pour se décider). Le gouverneur de la Bundesbank Jens Weidmann a une fois de plus pris date en estimant la Commission « pas assez conséquente », mais, fait nouveau, Wolfgang Schäuble avait appuyé dans les coulisses sa décision en contactant les commissaires pour convaincre les récalcitrants
Chypre, l’Espagne, la France, l’Italie, Malte et le Portugal sont invités à ce sommet en gestation auquel les participations ne sont pas encore confirmées. La liste n’a pas été établie en fonction de seuls critères géographiques ; elle reflète une identité de problèmes si ce n’est de solutions. Le moment est peut-être venu de signifier la nécessité d’une substantielle évolution de la politique européenne, à chacun d’en saisir l’opportunité à sa façon, mais tous ensemble.
Étant donné ce qu’elle a déjà enduré, la Grèce est symboliquement bien placée pour prendre cette initiative. D’autant qu’elle est en première ligne dans la crise des réfugiés, dont le redémarrage sous sa forme aiguë ne peut être exclu. Le gouvernement français, qui a cru devoir perpétuer la fiction du moteur franco-allemand pour s’en servir comme un bouclier, va pour sa part avoir une opportunité de se démarquer. S’il la saisit, cela sera à n’en pas douter à minima.
Que peut-il être attendu de ce sommet ? Sa principale faiblesse est qu’il ne va pas pouvoir en sortir une politique alternative, sa force réside dans la possibilité qu’il donne du corps à l’assouplissement de l’actuelle, qui rencontre des difficultés d’application. C’est peu et beaucoup à la fois. Peu parce que cela ne changera pas la donne, beaucoup parce que cela créera une brèche à élargir. Car il n’y a que deux options de disponibles, soit rechercher une sortie de crise en s’appuyant sur le retour à la souveraineté nationale, soit la trouver dans le cadre d’une reconfiguration européenne. La tâche peut sembler hors de portée, mais c’est sans compter l’impasse dans laquelle la construction européenne se trouve aujourd’hui. Rien n’est réglé, le délitement en cours va se poursuivre. Quoi qu’il en soit, ce pari n’est pas le plus audacieux des deux !
Se développant progressivement dans toute l’Europe, la dimension politique de la crise prend le pas sur toutes les autres, et ce n’est pas fini. À quoi sert en effet une politique si elle est systématiquement rejetée ? En révélant la xénophobie, qui s’est trouvée dans la crise des réfugiés un sérieux point d’appui, les cartes ont certes été brouillées. Mais le jeu n’en est devenu que plus dangereux pour les partis de gouvernement.
La situation espagnole est emblématique de l’impasse généralisée qui se profile au plan politique. Si aucune combinaison gouvernementale ne parvient à s’imposer, c’est aussi parce qu’aucune orientation n’en a la force. Le respect des règles au nom de la lutte contre le laxisme dont se prévaut Jens Weidmann n’est plus possible, la rupture avec celles-ci ne l’est pas encore. C’est dans ce contexte qu’un sommet avec des ambitions par définition mesurées prend son sens. Nécessaire, mais pas suffisant, il ne se substitue pas à une initiative présentant une alternative radicale et construite, rendue d’autant plus indispensable que les tentations au repli sont fortes. Le souverainisme et la xénophobie sont distincts mais font bon ménage, c’est leur force. Sur de tels sujets, la clarté n’est pas de trop.