Billet invité.
Procédant à un échange de réfugiés comme s’ils étaient des espions, d’autres n’hésitant pas à les amalgamer à des terroristes, des bateaux vont se croiser sur la mer Égée suivant un ballet bien réglé. 750 réfugiés devraient être refoulés en trois jours à partir de lundi prochain. Selon une stricte comptabilité, un réfugié syrien expulsé de Grèce sera échangé à un autre Syrien provenant de Turquie. Ce qui permettra de refouler par la même occasion des réfugiés de toutes nationalités n’ayant pas demandé l’asile en Grèce, car ils souhaitent aller au-delà, déjà arrivés sur les îles où ils continuent de débarquer.
La mise en scène sera soignée afin de symboliser l’accord intervenu avec le gouvernement turc. Mais cet épisode n’effacera ni les manifestations des réfugiés et des membres des ONG dans les îles, ni les affrontements entre réfugiés intervenus au camp d’internement de Chios, qui a été détruit, et dont des centaines d’internés – pour appeler les choses par leur nom – se sont échappés. Ni même la situation précaire des réfugiés dont le nombre dépasse déjà les capacités prévues pour les enfermer et qui attendent dorénavant de connaitre leur sort, aussi bien à Lesbos, à Samos qu’à Chios.
Les autorités grecques sont à nouveau débordées, attendant des renforts tardifs et insuffisants en personnel des pays européens : 400 agents de Frontex sont seulement annoncés. L’application des accords se fait désormais sous la surveillance du HCR qui a exprimé ses fortes réserves et annonce veiller sur le terrain au strict respect de la convention internationale sur les réfugiés. Hier, l’organisation des Nations Unies a appelé à « la mise en place de toutes les garanties avant le début des retours, et ce du fait de lacunes graves et persistantes dans les deux pays, la Grèce et la Turquie ».
Les réfugiés continuant d’arriver dans les îles à un rythme soutenu, l’enjeu va être de les refouler plus rapidement qu’ils ne se présentent, tout en leur donnant – au moins formellement – la possibilité de demander l’asile et de faire appel devant un juge en cas de réponse négative. Il est prévu que la procédure dure deux semaines. On nage déjà en pleine hypocrisie.
Cette même situation de confusion se retrouve dans tout le pays, que ce soit au Pirée ou à la frontière avec la Macédoine, à Idoméni. Sur le continent, les réfugiés refusent de rejoindre les camps prévus à leur attention car cela reviendrait à mettre un point final à leur exode avant qu’elle n’ait pu aboutir, à abandonner tout espoir de recommencer leur vie après avoir tout laissé derrière eux, les condamnant à rester des réfugiés.
Selon Melissa Fleming, la porte parole du HCR à Genève, « on compte actuellement environ 51.000 réfugiés et migrants dans le pays, dont 5.000 sur les îles et 46.000 sur le continent. Les arrivées se sont récemment accrues en date du 29 mars avec 766 personnes, alors qu’environ 300 arrivées quotidiennes en moyenne avaient été observées les jours précédents. » Le 31 mars, elles étaient dénombrées à 401 arrivées.
Les députés grecs ont dans l’urgence adopté comme prévu une loi permettant le démarrage de la mise en œuvre de l’accord, sans toutefois, selon la Deutsche Welle (équivalent allemand de RFI), explicitement qualifier la Turquie de « pays tiers sûr », c’est à dire en mesure d’accueillir selon les critères internationaux les réfugiés refoulés.
En Turquie, les réfugiés sont livrés à eux-mêmes dans leur très grande majorité, leur situation laisse pour le moins à désirer et l’on attend des détails sur la manière dont les 6 milliards d’euros promis à la Turquie vont être dépensés en leur faveur. Dans l’immédiat, afin de concrétiser sa proposition de création d’une zone permettant de regrouper en Syrie les réfugiés, Ankara a fermé ses frontières avec celle-ci et bloqué de l’autre côté des dizaines de milliers de réfugiés, se contentant de leur fournir des tentes et de la nourriture. Selon Amnesty, qui a enquêté et fourni des témoignages précis, des réfugiés syriens ont été refoulés en Syrie, « quelques milliers d’entre eux auraient été dans ce cas dans les sept à neuf dernières semaines. »
Depuis le début de l’année, les arrivées d’Afrique du Nord vers l’Italie connaissent une hausse de leur nombre de plus de 80% par rapport à la même période de 2015 et s’élèvent à 18.784 réfugiés. Par cette route, les arrivants sont selon le HCR des Nigérians, des Gambiens, des Sénégalais, des Maliens et des ressortissants d’autres pays ouest-africains. La poussée des réfugiés cherchant un havre en Europe est de plus en plus forte alors que s’y manifeste un repli xénophobe prononcé, un phénomène classique en situation de crise.
De restriction en restriction, seuls les Syriens sont désormais en mesure d’obtenir l’asile, à l’exclusion des Irakiens, des Afghans et des Éthiopiens, dont de gros bataillons ont dans un premier temps contribué à grossir les rangs de l’exode et qui sont déjà parvenus en Allemagne, en Autriche et en Suède. Au nom de quoi une telle distinction peut-elle être faite, tous ces pays étant en guerre ? S’agissant de nombreux pays africains, est-il vraisemblable de qualifier ceux qui en sont originaires et se présentent aux portes de l’Europe de « migrants économiques » étant donné les conflits qui les secouent ? La convention internationale relative aux réfugiés de 1951 adoptée aux lendemains de la seconde guerre mondiale n’étant décidément plus d’actualité, ne vaudrait-il pas mieux la dénoncer pour mettre en accord la parole et les actes ?
Devenue zone de paix, l’Europe peut-elle faillir à ses obligations de solidarité et se barricader ? Faisant peu de cas de la solidarité interne – à voir le sort réservé à la Grèce, au Portugal et à l’Espagne – comment pouvait-on espérer qu’elle en fasse preuve vis à vis de ceux qui fuient une vie misérable et dangereuse en dehors de ses frontières ? Les deux gestes sont pourtant à sa portée, mais c’est une autre histoire qui reste à écrire.