Billet invité.
Questionné à propos de la distribution directe de liquidités par la BCE (le fameux largage par hélicoptère), Mario Draghi a répondu le 10 mars dernier que « c’est une idée intéressante… mais nous ne l’avons pas encore réellement examinée ». Ce disant, il n’a pas manqué de surprendre son monde.
En vérité, la décision d’étendre les achats d’obligations de la BCE aux titres émis par les entreprises non financières est un pas dans cette direction, puisqu’il ne s’agit plus d’acheter des titres émis par les banques après titrisation de leurs créances, mais de procéder à des acquisitions directes d’obligations. Celles-ci interviendront sur le second marché, mais probablement sur le premier marché aussi, c’est à dire à l’émission, car la liquidité de ce marché est faible, les investisseurs gardant généralement les titres jusqu’à l’échéance de leur remboursement.
Or la taille de ce marché est beaucoup plus restreinte que celui des obligations souveraines, estimée entre 400 et 500 milliards d’euros en Europe. Si la BCE devait acheter la totalité ou presque de l’enveloppe qui a été annoncée – 20 milliards d’euros mensuellement – elle deviendrait très vite un acteur prépondérant de celui-ci après être devenu un important acteur sur le marché de la dette souveraine, où elle a fait baisser les taux jusqu’à les rendre négatifs.
L’intervention de la BCE va avoir deux effets plus ou moins marqués. Elle va faire baisser les taux d’intérêt, ce qui est le but recherché, et également créer deux classes de titres, suivant qu’ils feront ou non l’objet d’achats par la banque centrale. Mais elle n’apportera un soutien qu’aux grandes entreprises ayant un accès au marché obligataire, ce qui n’est pas le cas des PME qui vont continuer à dépendre des banques pour leur financement.
Les conditions dans lesquelles les grandes entreprises se finançaient étaient déjà favorables, conduisant à s’interroger sur les effets réels de cette mesure, dans l’attente d’en connaître le détail qui n’a pas été encore livré. Va-t-elle les inciter à investir, par exemple dans le cadre du plan Juncker – qui avance à pas de tortue et qu’il faut sauver – ou bien à consolider les marges, voire permettre de procéder à des rachats d’action ou à des distributions de bonus ?
Tous les projets qui circulent ont en commun d’agir sur l’investissement mais jamais directement sur la demande, ce tabou que personne n’ose briser au nom de l’indispensable déflation salariale.