Billet invité.
L’actualité continue d’accorder une place importante aux décisions – ou parfois à l’indécision – des banques centrales alors que grandit le sentiment qu’elles sont arrivées au bout de leur rouleau. De manière symptomatique, Mario Draghi a d’ailleurs prétendu faire avec ses annonces de la semaine dernière la démonstration contraire, sans nécessairement convaincre malgré l’ampleur du dispositif.
Cherchant à profiter de ce tournant tout en leur accordant de nouveaux pouvoirs, les projets de réorientation de la politique monétaire des banques centrales ne manquent pas. Constatant qu’utiliser le levier du crédit bancaire pour relancer la machine ne fonctionne pas, ils s’appuient sur l’idée que leur mission originale – lutter contre l’inflation – n’est plus d’actualité et que d’autres objectifs doivent lui être assignés.
Sous plusieurs variantes, la distribution directe de liquidités court-circuitant le système bancaire fait l’objet de différentes campagnes. Elles ont pour objectif de financer directement les investissements, ou d’accroître la consommation des particuliers. Quelle que soit l’option retenue, le décollage de « l’Helicopter Money » serait désormais la seule issue, certains l’annoncent même pour très bientôt.
Parmi les approches de ce que l’on pourrait qualifier d’assouplissement quantitatif non conventionnel, relevons celle de la New Economics Foundation, qui préconise au Royaume-Uni l’adoption d’une politique qualifiée de « stratégique » accompagnée d’une réforme de sa gouvernance.
Une autre campagne intitulée « Positive Money » vise à « stimuler l’économie réelle » au lieu du système financier, et se situe dans le cadre du projet « QE for the people ».
Défendant l’idée de s’approprier l’assouplissement quantitatif, plusieurs eurodéputés proposent de leur côté que la création monétaire ait pour objectif le financement des biens communs, la transition verte et la création d’emplois.
Les excellentes intentions de toutes ces initiatives sont incontestables, ayant toutefois en commun d’éluder les phénomènes à l’origine des dysfonctionnements auxquels elles veulent remédier. Elles prétendent régler avec un instrument de politique monétaire des problèmes d’un tout autre ordre. Avec comme conséquence d’accréditer l’idée que deux mondes pourraient subsister côte à côte, celui de la finance laissée à son propre sort et celui de l’économie réelle à sauver.
Voilà qui renvoie à la vision de Paul Volcker, père de la séparation des activités spéculatives et d’intermédiation des banques aux États-Unis, quand il proposait non sans naïveté aux spéculateurs de continuer à jouer au casino s’ils le souhaitaient, à condition de ne plus attendre de soutien des pouvoirs publics et des contribuables. L’économie et la finance sont étroitement liés, et cela implique de remettre la finance à sa place en raison de ses effets malveillants sur la première.
Aux rares iconoclastes de départ, qui prêchaient dans le désert dans ces domaines, ont succédé au sein même du monde des affaires et de la finance, des manifestations d’inquiétude plus larges sur le thème « où va-t-on ? ». Il en résulte une ouverture nouvelle à des idées qui hier encore n’étaient pas recevables, comme celle de l’ « Helicopter Money ». Les manifestations de déstabilisation du système qui s’accumulent en sont à l’origine, mieux ressenties par ceux qui savent en prendre la mesure. Toute la question est de savoir où conduira une telle évolution encore limitée des esprits, car cette planche de salut n’est qu’une échappatoire.
Sans relance économique, c’est l’impasse, mais comment la susciter ? Le débat sur la posture à adopter va-t-il rebondir ? La rencontre des sociaux-démocrates européens de samedi dernier organisée par François Hollande, a en tout cas montré que ça n’est pas sur les dirigeants politiques qu’il faut compter. Ils sont empêtrés dans leurs contradictions et prisonniers des contraintes fiscales et budgétaires qu’ils ont eux-mêmes adopté. Prolixes quand il s’agit de leurs intentions, ils sont secs quand ils abordent le chapitre de leur financement.