Billet invité.
On savait la Deutsche Bank une grande malade, mais est-ce au point de la comparer comme on l’a lu à la banque Lehman Brothers, le catalyseur de la crise financière, qui s’est effondrée en 2008 ? La menace d’un nouvel accès de crise aigüe qui s’est propagée est-elle justifiée, ou bien n’est-elle que l’expression d’un profond désarroi devant des phénomènes incompréhensibles et d’une défiance persistante envers l’opacité des banques ? Où faut-il en chercher la cause ?
Sur la simple rumeur d’un rachat partiel par la Deutsche Bank de ses titres de dette senior, destiné à rassurer, la banque s’est ressaisie en bourse ce matin, reprenant 10% sur les 13% qu’elle avait perdus depuis lundi matin. L’avenir de la première banque allemande reste toutefois profondément incertain. John Cryan, son nouveau PDG, avait déjà tenté hier de rassurer les investisseurs, et Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des finances, avait affecté ne pas être concerné, signe qui ne trompe pas du contraire ! L’explosion des achats de CDS, ces produits de couverture destinés à se prémunir de la défaillance de la banque n’était pas d’avantage une bonne nouvelle : six milliards d’euros (en notionnel) de ces titres ont été achetés lundi et 5 milliards mardi.
Ses pertes de 6,7 milliards d’euros additionnées à ses coûts de restructuration et les provisions rendues nécessaires par les innombrables poursuites en cours – la banque ayant été de toutes les manipulations des marchés financiers – expriment un besoin de recapitalisation estimé par la Citibank américaine à 15 milliards d’euros. Les actions de la Deutsche ont progressivement perdu 60% de leur valeur depuis 2009. Sa chute en bourse qui est intervenue en début de semaine a fortement contribué à celle des valeurs bancaires en général, car ce monstre financier recèle bien des mystères, notamment en raison de sa gigantesque exposition aux produits dérivés. Une contagion est crainte qui pourrait affecter l’ensemble du système bancaire, sans que l’on puisse en mesurer le risque. Les banques reviennent dans l’actualité, par là où elles ont encore péché.
Cela ne doit pas masquer l’autre phénomène tout aussi inquiétant qui est intervenu sur le marché obligataire, où les écarts de taux – les spreads – ont augmenté entre pays de la zone euro. Cela reflète l’intensification d’une crise européenne dorénavant alimentée de tous côtés. La menace d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ou celle de la rupture de Schengen sont venues s’additionner à ses précédentes manifestations. En l’occurrence, c’est la construction inachevée de l’Union bancaire qui est plus particulièrement en question, depuis que la directive européenne sur le mécanisme de résolution destiné à prévenir de la défaillance d’une banque est entrée en vigueur en début d’année.
La conviction domine qu’en dépit de ce mécanisme aux promesses trompeuses, la puissance publique serait à nouveau mise à contribution si des défaillances bancaires devaient se concrétiser. En Italie, où la détérioration de l’état général du système bancaire se révèle, la Commission a imposé pour quatre d’entre elles, en attendant la suite, un montage financier tarabiscoté afin d’éviter sur le papier un soutien public, mais c’est à terme sans garantie de succès. En réalité, la menace d’un bail out sur fonds publics plane toujours en Europe, expliquant la hausse des taux des obligations souveraines des pays considérés à problème qui vient d’intervenir.
Cela n’empêche pas les investisseurs de craindre de faire les frais de futures opérations de sauvetage, ayant abondamment souscrit aux émissions de titre hybrides (CoCo’s) des banques qui ont cherché à renforcer à moindre frais leurs fonds propres. Car ces titres de dette qui y sont éligibles au regard de la réglementation, au prétexte qu’ils peuvent être transformés en cas de besoin en actions, sont à ce titre les premières victimes d’un bail in. Une perspective qui a fait fuir dans la précipitation les investisseurs, la vente de leurs CoCo’s faisant grimper à la verticale le spread de crédit.
Fleuron d’hier des banques européennes, la Deutsche est désormais celle par qui le malheur arrive, faisant poindre une réactivation de la crise obligataire que la BCE avait étouffé dans l’œuf. Il ne manquait plus que cela.