Billet invité.
Le versement d’une tranche de l’aide financière du 3ème plan de sauvetage de la Grèce est bloqué depuis plus d’un mois, mais le spectacle de négociations qui n’aboutissent pas renouvelle un genre qui s’épuisait. Plus question d’affrontement et de ruptures, mais recherche de compromis ! Et l’on entend même le ministre français Michel Sapin prendre le parti du gouvernement grec en préconisant un accord malgré les divergences ! L’accord ne se fera pas à l’Eurogroupe d’aujourd’hui, mais il interviendra « dans les jours à venir », entend-on de partout.
A la recherche d’un règlement « politique », Alexis Tsipras a repris ce week-end son téléphone pour contacter Angela Merkel et François Hollande et entame une nouvelle une course d’obstacle qui ne fait que commencer, car un second train de mesures doit être adopté avant la fin de l’année, le premier faisant déjà problème en raison de l’impact social de certaines mesures. Mais le contexte a changé, et les dirigeants européens savent combien ils vont avoir besoin de la Grèce dans le cadre de la crise des réfugiés. Le gouvernement va-t-il trouver la souplesse qu’il avait vainement recherchée lors de l’épisode précédent ? Cela va être difficile pour ses interlocuteurs de l’éviter, à moins que les dirigeants allemands, qui s’opposent à propos des réfugiés, ne se raidissent sur ce sujet et sur les autres et en décident autrement.
Conforté par les élections législatives qui lui ont donné la majorité qu’il recherchait, le président turc tout au renforcement de sa mainmise sur le pays va-t-il entrer ou non dans le jeu européen, afin que la Turquie bloque les réfugiés aux portes de l’Union européenne et soulage d’autant l’Allemagne ? Rien n’est acquis. On commence à connaître la situation de 2,2 millions de réfugiés, pour la plupart syriens, condamnés aux petits boulots au noir payés une misère ou à la mendicité, leurs enfants non scolarisés. 400.000 seraient dans ce cas, selon Human Rights Watch (HRW). Comment et avec quels moyens les inciter à rester en Turquie et à ne pas chercher meilleure fortune en Europe ? Plus que la bonne ou mauvaise volonté du président turc, ou l’ampleur des concessions à son égard des dirigeants européens, l’ampleur du problème est en soi le principal obstacle.
L’’afflux des réfugiés pèse de tout son poids en Allemagne qui en accueille l’essentiel dans l’Union européenne. Angela Merkel fait face à une forte opposition au sein de son propre parti, menée par le ministre de l’intérieur Thomas de Maizière qui est à l’initiative et a recueilli le soutien de Wolfgang Schäuble ainsi que de la CSU, le partenaire bavarois de la CDU. Le compromis qui avait été trouvé à propos des « zones de transit » destinées à accueillir en Allemagne les réfugiés à peine trouvé, les désaccords sont immédiatement réapparus. Sans consultation de la chancelière – qui a depuis rétabli les dispositions précédentes – le ministre de l’intérieur avait décidé de ne plus accorder aux réfugiés syriens la protection complète de la Convention de Genève. Le regroupement familial était aussi suspendu.
Son départ du gouvernement était en jeu, mais les appuis recueillis ont changé la donne. Si le SPD soutient Angela Merkel, la politique de celle-ci est de plus en plus contestée dans l’establishment de son propre parti, tandis qu’un sondage enregistre la progression dans l’électorat de l’AfD, qui fait campagne contre l’accueil des réfugiés. Il recueillerait 9% des voix, comme Die Linke, ce qui aurait comme conséquence de rendre indispensable le maintien de la coalition CDU/CSU et SPD.
La péninsule ibérique est aussi le théâtre d’évènements hors normes. La venue au pouvoir au Portugal des socialistes soutenus par l’extrême-gauche et les communistes se confirme au fil des étapes, en attendant la décision du président de confier à Antonio Costa le soin de constituer un gouvernement, la mission précédemment confiée à Pedro Passos Coelho allant se terminer avec la chute de son gouvernement de droite. Le parti socialiste a intégré dans son programme des mesures à la demande du Bloc de gauche et du parti communiste, et des procédures de concertation sont décidées afin de garantir au mieux la stabilité du gouvernement au long de la législature, de relancer l’économie en augmentant le revenu des Portugais et d’améliorer ainsi les rentrées fiscales du gouvernement. La droite, dont la politique était aux antipodes, prévoit de son côté un trou budgétaire. La suite est à écrire.
Avec le maintien de Syriza au pouvoir en Grèce, le gouvernement de gauche portugais va continuer de lézarder l’édifice du pacte budgétaire européen en mettant en cause les mesures d’austérité budgétaires préconisées dans un premier temps. S’il ne remet pas formellement celui-ci en question dans les deux cas, il rejoint une troisième approche, celle de Matteo Renzi en Italie, qui utilise toutes les marges de souplesse disponibles. Celle-ci reste à confirmer, tant à Bruxelles qu’à Berlin.
En Espagne, on attendait Podemos comme trouble-fête, et l’on assiste aujourd’hui aux premier pas de la sécession catalane sous les auspices d’un parlement régional majoritairement indépendantiste. La résolution votée aujourd’hui prévoit que les élus catalans « ne se soumettront plus aux institutions de l’État espagnol, en particulier à la Cour constitutionnelle » et lance le processus devant aboutir à la création d’une république indépendante au plus tard en 2017.
Pour y faire face et essayer de tirer son épingle du jeu en dépit de l’important recul électoral qui s’annonce pour son parti, le président du gouvernement Mariano Rajoy cherche à regrouper sous sa bannière une union sacrée anti-indépendantiste et à déplacer l’attention d’une opinion publique prioritairement concernée par la situation économique et sociale.
A terme, les divisions au sein du camp catalan sont son principal espoir, l’organisation de gauche radicale Candidatura d’Unitat Popular (CUP) refusant d’élire à la présidence du parlement catalan Artur Mas, leader de l’autre composante du mouvement indépendantiste, contre lequel elle a fait campagne pour corruption. De nouvelles élections devront être convoquées si un accord n’est pas intervenu d’ici le 9 janvier. Dans cette attente, et au plan national, le gouvernement issu des élections législatives du 20 décembre prochain devra réviser le budget 2016 de Mariano Rajoy retoqué pour cause de prévisions de croissance trop optimistes afin de permettre des cadeaux électoraux.
La conjonction des crises désormais bien installée, les ministres de l’intérieur de l’Union européenne vont se retrouver cet après-midi à Bruxelles, spectateurs plus qu’acteurs de la scène européenne. Une grève des ferries grecs avait interrompu ce week-end le flux des réfugiés, bloqués dans les îles, mais 15.000 d’entre eux sont arrivés ce matin au Pirée, se dirigeant immédiatement vers la Macédoine. Une interruption de cet exode sous égide des autorités turques étant hypothétique, il ne reste que trois options : qu’elle continue de se poursuivre jusqu’en Allemagne, que les réfugiés admis soient répartis dans les pays de l’Union européenne sans limite de plafond, ou qu’ils soient bloqués dans leur pays d’arrivée, la Grèce pour l’essentiel, ainsi que l’Italie. Le discours ambiant est que l’Europe doit accueillir les « vrais » réfugiés, mais même de ceux-ci aucun gouvernement ne se précipite pour les accueillir…
Après la crise des banques, puis de la dette, celle des réfugiés s’annonce particulièrement prometteuse, la première n’étant toujours pas réglée.