Billet invité.
Parmi tous les commentaires suscités par la chute des Bourses du monde entier de lundi dernier – qui se poursuit ce matin en Chine, en dépit de nouvelles mesures des autorités du pays – la palme revient à Vitor Constancio, le vice-président de la BCE. Afin de minorer comme d’autres l’importance des évènements, celui-ci a expliqué que la Bourse chinoise n’était pas connectée à l’économie réelle, cette notion de plus en plus utilisée sur laquelle on aimerait bien avoir quelques éclaircissements.
Hier, de nombreuses voix ont voulu ramener l’évènement à une simple correction technique boursière chinoise, aux faibles effets sur l’économie mondiale. Sans se préoccuper de l’ampleur des mouvements de capitaux à l’échelle internationale qu’elle a suscités et qui ne se justifiaient donc pas. Or c’était là le plus important de l’évènement, qui a été laissé de côté. Il fallait prioritairement convaincre qu’un nouvel accès aigu de crise n’était pas à craindre, une idée qui pouvait significativement vite germer. La réaction mondiale à l’éclatement de la bulle boursière chinoise donne pourtant de quoi réfléchir, mais ce sera pour une autre fois.
Il a été également frappant de constater que nos commentateurs n’avaient pas changé de lunettes pour analyser l’éclatement de la bulle boursière, afin de s’adapter au contexte chinois spécifique et situer celle-ci dans la continuation des épisodes précédents. Ils analysent son économie avec la même grille qu’ils utilisent pour un pays occidental, comme si de rien n’était. Celle du pays est pourtant d’un genre très particulier, dominée par des mastodontes bancaires publics et des grandes entreprises d’État désormais associés un shadow banking florissant et connaissant de grandes disparités internes de développement. Et, pour ne donner qu’un exemple de la maladie qui atteint son modèle de développement, l’investissement qui représente 44% de son PIB ne génère qu’une croissance probablement inférieure à 5%, ce qui n’est pas d’un excellent rendement mais ne crée pas pour autant une voie royale afin de changer de modèle.
La Chine est engagée dans une « économie socialiste de marché ». Un concept flou et hybride dont nos commentateurs ne veulent voir que le résultat qu’ils en attendent : l’ouverture d’un gigantesque débouché commercial et un nouveau terrain de jeu pour la finance créative. Qu’importent les méandres et les coups d’arrêt, il faut appuyer les efforts de la direction chinoise pour sortir de son bourbier, car la récompense sera au rendez-vous. Dans cette perspective, l’accent n’est pas mis sur les difficultés de toutes natures de la mutation qui est engagée, ainsi que sur tout ce qui peut s’y opposer.
La réserve s’impose aussi lorsque la question de la croissance revient sur le tapis. Nos commentateurs sont en effet chatouilleux sur ce chapitre, ayant fait du retour planétaire de celle-ci la condition de celui de la normalité. Reconnaître qu’elle pourrait être affectée par un nouvel accident de parcours n’est pas conforme à leurs plans, et encore moins d’admettre que la Chine est embarquée à son tour dans une période de stagnation.
Afin de faire face dans l’urgence à la baisse des exportations, la direction chinoise a actionné sa Banque centrale qui a elle aussi développé une politique « de mesures non conventionnelles ». Le remède n’a pas été plus brillant que dans les pays occidentaux, créant de nouveaux problèmes avec lesquels elle est également aux prises. La motivation principale du Parti-État est sa propre préservation et sa politique en découlera. Il n’a pas encore trouvé de réponse à une question essentielle : quels leviers sa direction doit-il actionner pour changer de modèle de développement sans sombrer dans le chaos ? Pour l’éviter, la transition sera longue.