Billet invité.
La Grèce et ses créanciers sont proches d’un troisième plan de sauvetage. Cinq mois et de nombreuses péripéties avaient été nécessaires pour arracher un accord au sommet en juillet, quelques semaines pourraient suffire pour sans bruit déboucher sur un accord dont le contenu n’est pas connu. Que s’est-il donc passé ?
En dépit de cette grande différence, le plan débattu à Athènes et le cadre qui avait été défini par les chefs d’État et de gouvernement ont en commun de ne pas être crédibles, s’inscrivant dans la même logique. Alexis Tsipras a d’ailleurs déclaré au début de la seconde négociation du plan qu’il n’y croyait pas mais le signerait néanmoins. En tout état de cause, il est incomplet puisqu’il devra être suivi cet automne par un second volet consacré à la dette grecque.
Un accord rapide était toutefois indispensable, non seulement pour éviter la sortie de la Grèce de la zone euro, mais pour effacer la très mauvaise impression laissée par le round précédent de négociation. La mise en cause rituelle du gouvernement grec alimentée par son pas de deux sur le référendum ne parvenait pas à masquer la responsabilité des plus hautes autorités européennes, ainsi que le fiasco qu’il fallait en attendre. Un véritable tollé avait résulté du sommet, qui avait empêché la photo de famille et éclipsé les congratulations attendues. Le tir devait être rectifié : les Chefs d’État et de gouvernement n’avaient pas donné un spectacle en leur faveur et leur politique était en cause ouvertement.
Écartant les ministres des finances et n’impliquant pas de nouvelles réunions formelles d’un Eurogroupe sous influence de Wolfgang Schäuble, les modalités du second round de la négociation ont facilité leur tenue. La Commission, la BCE et le FMI ont eu les coudées franches. Seul, l’un des porte-parole du ministre allemand des finances a tenté de faire trainer les discussions en longueur afin de les faire échouer en préconisant l’obtention d’un nouveau crédit-relais, au motif qu’elles ne pourraient pas aboutir dans les temps et permettre le remboursement d’une échéance de la BCE. Une manœuvre qui se poursuit, dans l’attente d’une réunion de l’Eurogroupe qui pourrait se tenir vendredi. Comment cette instance informelle pourrait-elle invalider un accord entériné par la Commission, le FMI et la BCE ? « Une conclusion rapide des négociations serait souhaitable, mais nous ne devons pas oublier qu’il est question d’un programme de trois ans. En conséquence, l’exhaustivité passe avant la rapidité », a déclaré Steffen Seibert, le porte-parole d’Angela Merkel. Le gouvernement allemand n’est cependant plus à l’offensive, ne pouvant espérer qu’un durcissement des négociations finales.
Il faut encore attendre afin d’avoir confirmation de la signature du plan et pour se faire une idée précise de ses conditionnalités. Une fuite d’origine grecque a présenté sous un jour plus favorable la poursuite des privatisations, leurs modalités évitant de brader les actifs grecs et les objectifs amoindris du nouveau plan. Pour le reste, que va-t-il en être, notamment pour les retraites ? En quelles tranches successives les 82 à 86 milliards d’euros sur trois ans seront-ils versés, créant autant d’occasion de contrôle, de bilans et d’exigence de nouvelles mesures ? Combien sur ces montants seront effectivement affectés à l’investissement ?
Du côté de Syriza, une opposition s’est cristallisée, mais son ampleur ne sera connue qu’à l’occasion du Congrès qui n’interviendra qu’une fois le 3ème plan signé et ratifié, s’il doit l’être. L’enjeu est ailleurs : la rumeur s’est faite insistante à propos de la convocation des électeurs pour de nouvelles législatives afin de redonner une majorité à Alexis Tsirpas. L’aile rebelle de Syriza serait écartée, mais ceux qui spéculent sur un important recentrage gouvernemental pourraient en être pour leurs frais. Une chose est de redonner une assise au gouvernement pour ne pas avoir à le quitter, une autre de se préparer à sa tête à la suite des évènements. En particulier au gros morceau que représente le sort réservé à la dette.
Dans ce domaine, les gouvernements européens sont de plus en plus isolés dans leur rigorisme, et il est fait assaut de créativité pour préconiser des solutions à ce qui ne fait plus aucun doute : la Grèce n’est pas solvable et il faut réduire sa peine pour ne pas être condamné à continuer d’enchainer les plans de sauvetage dont la fonction est en réalité de faire rouler sa dette. Dernier en date, le professeur Kenneth Rogoff. Une question subsidiaire et déterminante surgit parallèlement : la médecine traditionnelle qui accompagne les restructurations de la dette n’est plus de saison. La relance de l’économie doit trouver d’autres outils que ceux que le FMI sort de sa boîte à outils à chaque occasion, car l’expérience a été faite qu’ils sont inopérants et que celle-ci doit être remisée.
Cette question n’est bien entendu pas propre à la Grèce. Le niveau très faible de la croissance européenne implique une double remise en cause. Celle d’une politique qui privilégie un désendettement public précipité, après avoir épargné le secteur privé au détriment des contribuables, ainsi que la conception de la croissance et un calcul du PIB totalement surannés. Dans un monde où les inégalités s’accentuent et font obstacle au développement économique, il y a de quoi réfléchir. – Pas pour tout le monde, car si ce thème a été relevé même au Forum de Davos, il reste résolument ignoré des plus hautes autorités européennes.
En dépit d’un rapport de force qui n’a pas laissé à Syriza d’autre choix que de plier – sortir de l’euro en solitaire n’était-il pas la pire des issues ? – le gouvernement grec va continuer de poser les questions dérangeantes…