Billet invité.
Les apparences sont sauves : à la demande instante des autres créanciers de la Grèce, le chef de mission du FMI a finalement rejoint Athènes pour participer aux négociations du nouveau plan selon un statut laissé dans le vague, et la Commission fait valoir pour justifier sa présence en pointillés que les discussions suivent « un processus en deux étapes », le FMI ayant « une série différente de procédures et un calendrier différent ». Ouf ! la question de la grande discorde est repoussée, on ne parlera de la dette grecque que plus tard !
Ne disposant pas de ce luxe, Michel Sapin doit sans attendre reconnaitre « un désaccord clair » avec Wolfgang Schäuble dans le quotidien économique Handeslblatt. L’option d’une sortie temporaire de la Grèce de la zone euro tiendrait-elle désormais la corde, pour que le ministre français soit dans l’obligation de s’y opposer si ouvertement ? Son intervention ne manque toutefois pas de piquant : « si vous autorisez [qu’un pays] puisse sortir temporairement, cela signifie que tout autre pays en difficulté va vouloir se tirer d’affaire par un réajustement de sa monnaie ». Allant sur le terrain de l’adversaire, il argumente que dans une zone monétaire commune, on « ne surmonte pas une difficulté par des manipulations des taux de change, mais par des réformes structurelles qui renforcent la compétitivité et débouchent, à force d’efforts, sur un budget équilibré ». Somme toute, la discussion porte sur une seule question : la cause est-elle ou non perdue ? Contre toute vraisemblance, parce que cela l’arrange dans l’immédiat, le ministre prétend que non.
Brandissant le spectre de la manipulation de la monnaie, le ministre français continue non sans constance à se revendiquer d’une politique dont les résultats ont pourtant rendu nécessaire un 3ème plan de sauvetage, en attendant les suivants. Avec une obstination qui force l’admiration, les responsables français cherchent à résister aux intentions de leurs homologues allemands, mais ils se contentent de biaiser sans oser les affronter – un comportement bien ancré – et se condamnent par là même à l’échec. Il faudrait pour cela affirmer une politique européenne alternative dont ils ne sont pas porteurs.
Désunis, les créanciers s’engagent dans le round final de la négociation en préconisant trois issues différentes. L’un veut une forte restructuration de la dette, l’autre un simple allégement qui ne règlerait rien mais sauverait dans l’immédiat les apparences, le troisième une sortie de la zone euro présentée pour la forme comme provisoire. Joli travail ! De son côté, le gouvernement grec essaye de se faufiler pour s’en tirer au moindre mal – sachant que seule la première option est viable, mais son avènement improbable – dans l’intention de gagner du temps et de ne pas prendre l’initiative de la rupture.
Les créanciers peuvent-il espérer surmonter leurs profondes divisions et retomber sur leurs pieds ? Les difficultés de bouclage du crédit-relais destiné à donner le temps aux négociations de se tenir ayant donné un avant-goût de la suite, qu’en sera-t-il s’il faut mettre sur pied un second crédit du même type, si elles ne sont pas conclues dans les deux semaines à venir ? Et que se passera-t-il ensuite ? On ne voit pas le FMI satisfaire à un compromis sur un sujet où il a été catégorique et s’engager financièrement à nouveau avec la Grèce. Il est déjà retenu dans une autre partie scabreuse avec l’Ukraine, définissant selon des critères qui ont tout de l’urgence politique du moment quel État est solvable et quel autre ne l’est pas.
Par la grâce de quel montage financier tortueux les créanciers européens boucleront-ils alors le financement d’un plan chiffré jusqu’à plus ample informé à 86 milliards d’euros ? Selon le quotidien grec Avgi, la première tranche du nouveau programme pourrait être de 24 milliards d’euros et le Mécanisme européen de stabilité (MES) pourrait dans l’immédiat seul y pourvoir, pour gagner un peu de temps. Mais sur la base de quel accord ?
On ne serait plus à une fuite en avant près, mais il faudrait entretemps avoir réglé le petit différent restant entre les partisans du maintien ou non de la Grèce dans la zone euro… Or, la pente est favorable à ceux qui la font glisser vers la sortie et préparent ainsi une Europe configurée selon leurs souhaits.