Billet invité.
Les dés sont jetés, l’Eurogroupe a remis toute nouvelle négociation aux lendemains du référendum de dimanche prochain, et François Hollande en est pour une mise en demeure sans effet immédiat. Le « non » tient la corde dans les sondages, mais même un retour du « oui » ne changera pas la donne. Ce n’est plus le sort de la Grèce qui est en question, mais celui de l’Europe. Les gouvernements allemand et français ont divergé publiquement, François Hollande ne pouvant plus biaiser.
Quel que soit le résultat du référendum, comment la Grèce pourra-t-elle rester dans la zone euro, à moins d’un nouveau coup de théâtre ? En cas de victoire du « non », on ne voit pas comment un troisième plan de sauvetage pourra être adopté, assorti comme annoncé de conditionnalités plus rudes que celles qui viennent de susciter un si long affrontement. Si le « oui » l’emporte, quel interlocuteur gouvernemental grec appuyé sur quelle majorité parlementaire pourra le négocier avant le 20 juillet, échéance du remboursement de la BCE ? Ce n’est pas tout que le gouvernement actuel démissionne, comme Yanis Varoufakis en envisage ce matin l’éventualité, peaufinant l’image d’une équipe respectueuse de la démocratie. Comment la BCE pourra-t-elle par ailleurs justifier le maintien de son soutien des banques grecques en cas de défaut ? Le processus de la sortie de la Grèce de la zone euro deviendra irrésistible. Tout ceci est extrêmement scabreux.
Il est trop rapidement conclu que le gouvernement allemand a fait le pari du « oui ». En réalité, Angela Merkel, qui ne peut ignorer la situation qui en résulterait, s’est finalement résolue à la sortie de la Grèce de l’euro. En s’y opposant, François Hollande renverse la vapeur très tardivement. Après avoir fait donner le parti socialiste, cela a été hier au tour du secrétaire d’État au budget, Christian Eckert, de monter au créneau : « si l’une des demandes de M. Tsipras est de pouvoir travailler sur un rééchelonnement de la dette grecque, ce n’est pas une question considérée comme bloquante pour la France ». En effet, un tel rééchelonnement n’impliquerait pas de constater des pertes pour les créanciers.
Le secrétaire d’État donne les raisons de la souplesse qu’il préconise : « l’un des plus gros risques pour notre pays, c’est que les observateurs, et surtout les investisseurs internationaux, ne regardent plus l’Europe de la même façon, ne considèrent plus la zone euro comme une zone stable, parce que celle-ci aurait été incapable de régler le problème d’un pays qui représente à peine 2 % de son PIB ». Mais il tait une question plus déterminante : celle du désaccord à propos de la trajectoire que doit emprunter l’Europe et de la politique qui doit y être suivie. Sa stratégie d’influence destinée à l’assouplir n’ayant rien donné, François Hollande est conduit à se dissocier de la politique du gouvernement allemand, et de se servir du cas de la Grèce à cet usage, condamné sans cela à devoir entériner les futures initiatives de la chancelière en faveur du resserrement de la zone euro sur son noyau dur dont l’Allemagne serait le seul moteur.
« Pour sauver leur système bancaire, les dirigeants européens ont enclenché le processus de destruction de la zone euro ». Voilà le raccourci que retiendront probablement les historiens, si rien n’intervient de décisif pour le bloquer. Ils rappelleront aussi la phrase prémonitoire d’Angela Merkel, en soulignant qu’elle n’en a pas tiré les conséquences : « si l’euro échoue, l’Europe échoue ».
Quoiqu’ils en disent afin de tenter de se disculper et de masquer leur déni, les plus hautes autorités européennes, qui depuis le début n’ont pas joué franc jeu, n’éluderont pas leur immense responsabilité collective. Elles se sont enferrées dans des négociations qui n’avaient pour but que de conduire le gouvernement grec à la capitulation, afin de tuer dans l’œuf toute contestation politique, et de repousser au plus tard possible le moment fatidique où il faudra reconnaître que la dette grecque doit être massivement restructurée, car cela vaudra reconnaissance de leur responsabilité.
Leur gestion des affaires européennes est en tout point toute aussi calamiteuse. Que ce soit à propos de l’Ukraine et de l’expansionnisme militaire de Vladimir Poutine, ou des émigrés qui affluent en fuyant la guerre dans leurs pays. Animées par un modeste sursaut, sans doute conscients que cela ne peut pas durer ainsi, les cinq plus hautes autorités de l’Europe se sont réunies pour signer un texte destiné à identifier les mesures propres à améliorer la gouvernance de l’Europe. Excusez du peu. Mais leur vision étriquée n’est pas plus à la hauteur des problèmes qu’ils cherchent à résoudre. Ce dernier document est d’ailleurs déjà oublié à peine publié.
Il a été doctement expliqué que la zone euro souffrait d’un vice de construction, sans trouver de réponse convaincante à la manière d’y remédier. Et que la gouvernance de l’Europe devait être renforcé, en y apportant une solution institutionnelle bien dans la tradition communautaire. Des traités absurdes ont été signés et de modestes mesures sont envisagées, mais c’est tout l’édifice qu’il faudrait revoir pour que la relance d’une Europe – qui traîne une croissance anémique, un chômage massif, un accroissement des inégalités et une pression déflationniste qui n’a pas disparu – reparte sur de nouvelles bases. Précisément celles dont s’inspire Syriza et qui sont donc inacceptables.
Leur Europe suscitant un rejet, les plus hautes autorités n’ont pas assez de morgue et de mots durs pour vilipender « les populistes », qui parfois s’égarent sur des chemins de traverse, mais qui leur font craindre une révision des traités européens qui nécessiterait des élections. Le retour du souverainisme est d’ailleurs leur meilleur allié. N’étant pas partis pour reprendre la main et de plus en ouvertement divisés, les dirigeants européens ont poursuivi ces derniers temps une stratégie du fait accompli en conduisant des négociations décisives en secret. Cela a été le cas pour le traité transatlantique (TAFTA), pour le dispositif sur le secret des affaires, ainsi que pour l’accord sur les services (TISA), dont Wikileaks continue de dévoiler les étapes de sa négociation. Avec ces projets, ils dessinent un nouveau monde dont la NSA et ses homologues occidentaux, avec lesquels la collaboration bat son plein, ont largement entamé la construction.
En pratiquant la diplomatie ouverte, en respectant leur mandat et le vote des électeurs à venir, l’équipe de Syriza donne aux dirigeants politiques européens une leçon qu’ils ne peuvent accepter, comme le fait Podemos sur un autre terrain.