Billet invité.
Alors qu’il reste encore et toujours à conclure, l’accord auxquels les Grecs et leurs créanciers devraient finir par aboutir est déjà caduc : son caractère politique l’emporte, son seul objectif étant d’éviter un défaut grec immédiat sur sa dette, mais il ne fait que sauver les apparences au plan financier. Que sera-t-il retenu de ces mois d’affrontement ? l’acharnement des plus hautes autorités ou la résistance opiniâtre des Grecs ? Si le gouvernement grec a lâché plus de lest qu’il ne le souhaitait, sa combativité a déjà trouvé sa récompense et il aura ouvert la voie.
Symboliquement, la succession des rencontres avec les dirigeants européens d’Alexis Tsipras, qui vont se poursuivre aujourd’hui, est concomitante avec la réouverture de la télévision publique ERT, ainsi qu’avec la décision du Conseil d’État grec d’annuler une baisse des retraites décidée en 2012, qui va toutefois amoindrir les marges de manœuvre financières du gouvernement. Mais, au-delà des déclarations de bonne intention, il va encore falloir trouver un accord sur les questions en suspens, et notamment à propos des objectifs d’excédent budgétaires. Athènes a déjà fait savoir qu’il pouvait y mettre un peu du sien.
C’est d’un seul coup le cas de tout le monde, sur un terrain ou sur un autre : Jeroen Dijsselbloem rappelle qu’il y a jusqu’au 18 juin pour trouver un accord, Jean-Claude Juncker prend le relais de Donald Tusk et François Hollande en proposant que le gouvernement grec puisse choisir les réformes auxquelles il s’engage, à condition que leur impact financier soit identique, et Angela Merkel semble avoir tranché le débat au sein de la direction allemande, au détriment de la ligne défendue par Wolfgang Schäuble. Côté BCE, il n’a pas été imposé de décote supplémentaire au collatéral fourni par les banques grecques en garantie des liquidités d’urgence qui leur sont accordées.
Ouvrant sans attendre le second round des négociations et commentant ses rencontres avec Jean-Claude Juncker, puis Angela Merkel et François Hollande, Alexis Tsipras a employé par deux fois dans une seule phrase le mot viable, à propos des conditions de retour à la croissance et de la cohésion sociale, ainsi que du remboursement de la dette. La suite de l’accord qui se profile est déjà en discussion et pourrait prendre la forme d’une extension jusqu’en mars 2016 de l’actuel plan de sauvetage. Le soutien financier qui l’accompagnera prendrait alors fin, et la Grèce devrait voler de ses propres ailes, dans l’esprit des dirigeants européens qui voudraient au plus vite se débarrasser de ce dossier où il n’y a que des coups à prendre. Mais ce soutien sera-t-il calculé au plus juste, afin de permettre seulement à la Grèce de suivre son plan de remboursement de la dette, ou contribuera-t-il également à la relance de son économie ?
Il y a du grain à moudre sur cette question, si l’on énumère la réaffectation des crédits destinés au renforcement des banques, le versement des intérêts des titres souverains grecs détenus par la BCE, l’achat de nouveaux titres grecs qui étaient exclus de son programme, et le déplafonnement de l’autorisation des émission de bons du Trésor par la Grèce. Gageons que les créanciers auront à cœur de n’accorder que le minimum, et par étapes, afin de poursuivre leur stratégie d’étranglement. Dans l’obligation de respecter des objectifs d’excédent budgétaires trop élevés, le gouvernement grec sera alors condamné à gérer l’austérité, sans moyens de financer la relance économique et son programme de mesures sociales. Tel est le nouveau calcul des créanciers européens, le FMI se retirant du jeu sur la pointe des pieds.
La BCE veut faire de même. L’interview donné à La Croix par Benoit Coeuré, membre de son directoire, sonne étrangement. « La question n’est pas tabou », déclare-t-il en faisant référence aux restructurations et réajustements de la dette grecques déjà accomplies. « Plus doit-il être fait ? » s’interroge-t-il. Cela dépend des accords conclus entre les créanciers et les Grecs, répond-il en reprenant l’argumentation du FMI, poursuivant ainsi : « l’argent qui est en cause appartient aux contribuables des pays de la zone euro, c’est donc à leurs gouvernements, et non à la BCE, de prendre toutes décisions à cet égard ». Il ne peut mieux dire en s’en lavant par avance les mains.
Le commissaire européen Pierre Moscovici a apporté ce matin sa contribution en souhaitant « un accord solide pour que tout cela soit financièrement soutenable », pour la Grèce, pour les créanciers et « pour les contribuables, puisque ce sont eux qui, in fine, supporteraient le coût d’un non-remboursement de la dette grecque ». Les plus hautes autorités cherchent toujours à se donner le beau rôle, celui de protecteur des intérêts des contribuables, occultant leur sauvetage des banques qui a abouti au transfert des dettes grecques, et des pertes qu’il faudra bien un jour constater… Dans leur esprit, leurs successeurs en hériteront.
Tous les créanciers de la Grèce poursuivent un même objectif avec des moyens différents, qui peut se traduire par le fameux « courage, fuyons ! ».