Billet invité.
La plaie du chômage est grande ouverte, et pas seulement en Grèce, au Portugal ou en Espagne, ces pays particulièrement touchés pour avoir bénéficié des attentions soutenues des autorités européennes. Entre hier et aujourd’hui, une nouveauté est toutefois intervenue en Europe : il était déjà prédit une croissance sans emplois, mais celle-ci donne depuis des signes de faiblesse, à peine timidement apparue. Que reste-t-il ?
Le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans est particulièrement impressionnant. Il a dépassé 50 % en Espagne et, ce qui est moins connu, 43 % en Italie. Les prévisions de l’Organisation internationale du travail (OIT) prêtent également à réflexion : dans le cas de l’Espagne, celle-ci prévoit en effet que le taux de chômage global restera au-dessus de 20 % durant toute la décennie.
La pauvreté s’est installée et touche presque un tiers de la population espagnole, incitant à y apporter une réponse qui ne peut se réduire à la sempiternelle invocation du retour à la croissance, cette formule miracle qui règle tout à condition de savoir l’attendre. Un débat s’est engagé dans le pays et part dans deux directions : l’instauration d’un revenu minimum, selon des modalités diverses, ou bien l’adoption du concept novateur d’État employeur de dernier recours.
Le Cercle de l’Économie, de l’Écologie et de l’Énergie (3 E) de Podemos explore la première piste, proposant un revenu pour tous d’un montant de 7.500 euros annuel par personne et de 2.500 euros pour les mineurs. Afin de le financer, il serait associé à une réforme fiscale redistributive et à la lutte contre l’évasion fiscale, afin de ne pas augmenter les impôts de ceux qui ne disposent que de revenus faibles ou moyens. De leur côté, deux organisation syndicales, l’UGT et les Commissions ouvrières, ont lancé une « initiative populaire » qui selon la Constitution impose au Congrès des députés de statuer sur une proposition de loi si un demi-million de signatures le réclame. Celle-ci est moins ambitieuse et vise à garantir 426 euros de mensuels à tous ceux qui sont en fin de droits. Ils seraient plus de deux millions et le coût de la mesure serait de 11 milliards d’euros annuels, soit moins de 1 % du PIB.
Izquierda Unida (la gauche unie) s’est engagée dans une autre voie, en référence au droit du travail inscrit dans la Constitution, et au concept de « travail garanti » de l’économiste américain Hyman Minsky, qualifié de « post-keynésien ». En application de ce principe, l’État et les collectivités locales fournissent du travail rémunéré suivant le salaire de base du service public, et éventuellement au-delà en fonction des qualifications requises. À rebours du discours sur l’accroissement de la productivité, et afin de mieux répartir les gains de celle-ci, l’objectif est de « prendre les chômeurs tels qu’ils sont et d’adapter les emplois publics à leurs compétences », dans des domaines socialement utiles et directement peu ou pas productifs, comme l’aide aux personnes âgées, aux enfants et aux malades, l’amélioration de la vie urbaine et de l’environnement et les activités artistiques…
Selon Izquierda Unida, un million d’Espagnols pourraient en bénéficier, pour un coût estimé à 10 milliards d’euros, dans le cadre d’un programme plus vaste de création d’emplois qui procéderait d’une profonde transformation du modèle productif et énergétique espagnol et viserait à renforcer les services publics et les droits des citoyens, au lieu de renouer avec la dépendance aux secteurs du tourisme et de la construction.
Enfin, de nombreuses contributions revendiquent un nouveau contrat social qui reposerait sur le droit à la santé, au logement et au travail. Mais l’on sait que ce dernier va être mis en cause par la robotisation accélérée du travail, qui est sans doute la plus incontournable des raisons justifiant que le revenu ne dépende plus des activités salariées, ni de la rente réservée aux privilégiés. Certains ne s’y trompent pas, comme Michel Santi, qui relève que « il ne sert en effet à rien au capitalisme de produire avec toujours moins de travailleurs et de salariés s’il y a de moins en moins de consommateurs qui peuvent se permettre d’acheter ses produits et services. » et il préconise en conséquence un revenu minimum « qui assisterait les plus démunis, qui réduirait les inégalités et qui trouverait des débouchés pour la surproduction se trouvant être un des maux les plus flagrants du capitalisme. » D’autres comme Bernard Stiegler pensent que le revenu contributif « doit reposer sur un revenu minimum d’existence, mais il ne doit pas s’arrêter à cela. Le revenu contributif devrait être conçu de façon à favoriser l’engagement des individus dans des projets contributifs. » Il serait l’une des pierres de l’économie contributive, un tout nouveau paradigme.